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Photo du rédacteurIrène de Palacio

Âme orpheline, J.-C. Holl (1900) : Poèmes choisis

"Se mêler à la joie affolante des foules, De jeunes souvenirs embrumer ses rancœurs, Ne jamais blasphémer les rêves qui s'écroulent, Être un prêtre fervent à l'autel de son cœur."

Âme Orpheline (1900). Edition originale. Couverture d'Edmond Rocher.

Collection personnelle.


"Cela commence par une épigraphe de Verlaine et finit par une scène de sadisme satanique où les rôles principaux sont joués par les sept péchés capitaux. (...)
Au cours des poèmes pullulent les "errances", les "ondoyances", les "envols", tous les vocables d'un jargon heureusement désuet. (...)
Il est à craindre que lui aussi ne se méprenne sur son véritable talent ; deux pièces de son recueil : Pensée et Les Nuages indiqueraient plutôt un délicat visionnaire qui ne doit rien à des réminiscences pseudo-baudelairiennes, ni au satanisme de bric-à-brac."

Pierre Quillard à propos de J.-C. Holl, Mercure de France, janvier 1901



Âme orpheline (1900) - Poèmes choisis


Le Rêve des humbles


Rêveur inoffensif cheminer dans la vie,

Ebaucher son bonheur avec humilité.

Calme, serrer la main du prochain, sans envie,

Chanter quand il vous plaît, pleurer sans lâcheté.


Se mêler à la joie affolante des foules,

De jeunes souvenirs embrumer ses rancœurs,

Ne jamais blasphémer les rêves qui s'écroulent,

Être un prêtre fervent à l'autel de son cœur.


Avoir un bras qui cède à la douce fatigue

De marcher tous les jours vers chaque lendemain

Et, modeste héros d'un drame sans intrigue,

S'en aller deux à deux et la main dans la main.


Marcher avec au front la foi pour auréole,

Ajoutant au présent le culte du passé,

N'être qu'un ignorant mais épris d'une idole,

N'être rien, s'en aller, aimer, croire et passer.



Jardin d'ombre


A Joseph Gautier, affectueusement.


La nuit lente s'épand — suave mélodie —

Doucement attristée aux souvenirs défunts

Et la vasque où s'ébat un jet d'eau parodie

Le rythme des flots d'ombre alourdis de parfums.


— Les choses, les pensers s'enlinceulent d'un

Dans le vaste tombeau des nocturnes cités [voile. —

Le silence descend gravement des étoiles

Berçant la vie en un sommeil d'éternité.


Et dans le jardin d'ombre où rêve solitaire

L'âme mélancolique et fraîche de la nuit,

Voici monter très doux comme un chant de mys-

Le cantique des fleurs au trône de minuit. [tère


Le silence angoissé de nos douleurs nocturnes

Sous le ciel pâle où les étoiles vont pâlir,

Traîne comme un suaire et l'âme taciturne

S'enveloppe de nuit pour mieux se recueillir.



Pensée


La pensée insoumise élabore ses poses

Dans la crypte du soir où prie agenouillé

Le silence des nuits. Dans le cerveau brouillé

Le rêve s'alanguit aux souplesses des choses.

Tel un oiseau des mers au roulement du flot

Se berce en la mollesse onctueuse des vagues,

Telle notre pensée inquiète extravague

Au mirage lointain d'un chimérique îlot.

Tout ne m'est que chaos en-dehors de moi-même

Et je suis ce nuage errant au fond des eaux

Que brouille un coup de vent, ou la flûte-roseau

Qui murmure les chants de l'éternel poème.



Dans le soir


Au poète Paul Redonnel.


L'âme des soirs se plaît dans les teintes fanées,

Dans les gris d'ombre douce et les roses bleuis.

Elle aime à voir changer aux toiles surannées

Le vitrail du couchant qui se rose et pâlit.


Et, dans le frôlement des mantilles de l'ombre,

Elle écoute passer ses rêves d'aujourd'hui,

— Pélerins du silence et des heures sans nombre

Qui vont pas à pas discrets vers le palais des nuits. —


Elle aime à s'exiler en un coin de la vie,

Comme en un coin de chambre où le soir a figé

Les meubles, le miroir, la vieille panoplie

Et jusqu'à la pendule au tic-tac affligé.


Mais le parfum ténu de quelques chrysanthèmes

Dont les ors ont pâli sous les baisers du soir,

Voltige à travers l'ombre et sur les choses blêmes,

Sous le dernier reflet mourant dans le miroir.


Mais voici que du noir surgit la lampe claire

Sous l'abat-jour rosé. C'est comme une âme soeur,

Une étoile d'argent dans l'ombre funéraire,

Une larme de feu près du front du rêveur.


Ô lampe du soir triste, âme en détresse,

— Tel un feu de vigie égaré sur la mer —

Subtil et doux est ton feu clair,

Comme une main d'aveugle qui caresse.



Minuit


Tel un ange gardien, rêvant près d'un vitrail

Respecte agenouillé le sommeil d'une amie,

Le clair de lune rêve aux vitres endormies,

Dans un voile d'argent vitrifié d'émail.


Dans la brume des nuits les étoiles murmurent

Et l'ange du sommeil de ses doigts lumineux

Laisse, d'un marcher lent, traîner ses voiles bleus,

Tandis que des frissons traversent les ramures.


Des lueurs d'incendie éclairent l'horizon.

Des harpes de cristal tombent des harmonies

Eparsement, dans l'ombre immobile, blottie

Aux angles argentés de calmes maisons.


Et l'heure douze fois martèle le silence.

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