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Photo du rédacteurIrène de Palacio

Un amusant portrait d'Alphonse Allais, par Maurice Donnay (1934)

Dernière mise à jour : 28 oct.


"L'humour d'Alphonse Allais, a dit son ami Alfred Capus, était une affirmation vigoureuse dont il était impossible de mettre en doute le sérieux. Et comme il était également impossible d'y croire, on se trouvait dans une étrange posture qui vous condamnait à l'éclat de rire."

Maurice Donnay, Paris-Soir, 17 septembre 1934


Caricature d'Alphonse Allais par Leonetto Cappiello, 1900

Musée du Vieux Honfleur



"En souvenir du célèbre humoriste, des fêtes ont eu lieu, hier et aujourd'hui, dans la jolie ville d'Honfleur, qui vit naître Alphonse Allais.

Il y a un demi-siècle, on eût bien étonné les bourgeois d'Honfleur si on leur avait prédit qu'ils glorifieraient un jour le fils de M. Allais, le pharmacien, homme très considéré pour les connaissances et la probité qu'il apportait dans sa profession, tandis qu'à Paris, dans le journal Le Chat Noir, ce fils écrivait des contes d'une extraordinaire fantaisie. Alphonse Allais était alors un grand jeune homme aux larges épaules, à la figure longue, au teint coloré, qui regardait la vie et les hommes et les femmes avec des yeux remplis de candeur ; un grand air de dignité était répandu sur toute sa personne. Il faisait penser à quelque Wiking [sic] et comme ses ancêtres, sur leurs barques, remontaient le cours des fleuves, il remontait sur ses contes le courant des préjugés.

Avant de devenir l'excellent écrivain dont nous admirons mille tournures ingénieuses, Alphonse Allais, tout d'abord destiné à la pharmacie, avait fait des études scientifiques, ce qui lui permettait de montrer la plus sévère logique dans la plus folle fantaisie.

"L'humour d'Alphonse Allais, a dit son ami Alfred Capus, était une affirmation vigoureuse dont il était impossible de mettre en doute le sérieux. Et comme il était également impossible d'y croire, on se trouvait dans une étrange posture qui vous condamnait à l'éclat de rire."

S'agit-il par exemple de réchauffer les pôles de notre globe ? Oh ! mon Dieu, c'est bien simple. Chacun sait que l'équateur et le grand cercle de la sphère qui passe par les pôles sont deux cercles imaginaires. S'ils sont imaginaires, se dit Alphonse Allais, j'en puis faire ce que je veux, dont les intervertir, s'il me plaît, faire passer l'équateur par les pôles qui seront ainsi réchauffés. Par contre, à l'équateur, les habitants seront gelés. Peu importe !

Ce qui caractérisait Alphonse Allais, c'est qu'il ne se contentait pas de répandre son humour dans ses écrits, mais il en assaisonnait tous les actes de sa vie. Il vivait en humour.

Comme il faisait son volontariat, environ en 1875, dans je ne sais plus quelle ville de l'Ouest, il entre un matin à la salle des rapports où se trouvaient le colonel, deux ou trois commandants, le capitaine adjudant-major, etc. Il porte la main à son képi et dit de l'air le plus naturel du monde :

"Bonjours, messieurs et dames !"

Cela n'a l'air de rien, mais saluer ainsi des militaires haut gradés, c'était risquer la salle de police, la prison même. Mais ce qui sauva notre humoriste dans une plaisanterie aussi périlleuse, ce fut son imperturbable sérieux, si bien que le colonel put croire à quelque dérangement soudain survenu dans le cerveau de ce pitoyable tourlourou.

Quelques années après sa mort, une plaque fut apposée sur la maison où il était né. Ce fut, à Honfleur, une belle cérémonie, les rues étaient pavoisées, des discours furent prononcés. Invité à prendre la parole, je dis aux Honfleurais que, s'ils étaient fiers, à juste titre, de leur concitoyen, lui, Alphonse Allais, chérissait sa ville natale.

Je leur racontai la première visite que je lui fis en Honfleur. J'étais arrivé dans la soirée ; après le dîner, nous fîmes un tour dans la ville, sous un ciel plein d'étoiles. Quand le tour fut achevé, j'eus le malheur de dire :

"En somme, Honfleur est un gros bourg." Du coup, Alphonse Allais sortit de son impassibilité : "Gros bourg, gros bourg toi-même", criait mon ami dans les rues silencieuses. Il était réellement furieux.

C'est qu'on peut être un ironiste, un humoriste et tendrement aimer sa petite patrie... et la grande."



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