Poème du jour : "Vitrail", Louis Payen
"Vitrail qu'on aperçoit aux murs de quelque église dont chaque vieille pierre est un nid d'oraisons que dentela le temps, pareil aux artisons dont le labeur subtil parfois s'idéalise..."
Église Saint-Pierre de Liverdun (Lorraine)
© Irène de Palacio
Vitrail
Louis Payen, Le Collier des Heures, 1913
Vitrail qu'on aperçoit aux murs de quelque église
dont chaque vieille pierre est un nid d'oraisons
que dentela le temps, pareil aux artisons
dont le labeur subtil parfois s'idéalise...
Vitrail terne et sans vie au regard qu'il reçoit
de la rue où les coeurs mêlent leurs lassitudes,
vitrail de beauté close aux yeux des multitudes
que de loin il attire et de près il déçoit...
Ses bleus, ses violets et ses rouges sont tristes
aux clartés du plein air où flambe un dur midi
et la poussière au bord du plomb qui les sertit
mange les chefs du Christ et de saint Jean-Baptiste...
Quitte le boulevard où les trompes d'autos
dominent tous les bruits de leur voix dissonante,
où la vie à son gré vous prend dans sa tourmente
ainsi que l'océan roule un mort dans ses flots...
Ecarte le vantail du temple et tu vas croire
que tu glisses, rapide, au calice d'un lys,
tant le silence est frais parmi cette oasis,
tant le vol des encens y met d'ombre illusoire...
Qu'importe si la foi reste en toi sans levain
et que tu croies ou non au Dieu que l'on encense...
pour que tout sanctuaire accueille sa présence
le coeur de tout passant garde assez de divin.
Regarde le vitrail et frissonne de joie !...
Il t'avait paru gris et terne du dehors,
vois rutiler sa pourpre et resplendir ses ors,
regarde comme en lui la lumière flamboie !
* Vitrail de l'âme aussi qui laisse indifférents
ceux qui vont au hasard sans détourner la tête...
La vie a mis sur lui sa poussière indiscrète
et nul ne le devine et nul ne le comprend !...
Mais il a sa beauté qui reste prisonnière
de notre lassitude et de notre mépris
jusqu'à l'heure soudaine où nos regards surpris
le voient flamber aux feux de la bonne lumière !...
Vitrail de l'âme au fond du temple clandestin !...
un vague encens parfume encor le sanctuaire,
l'ombre fluide a des douceurs d'électuaire,
l'écho du souvenir traîne des chants lointains !...
Que ta voix amicale ose forcer le seuil,
ne crains pas le refus du geste qui s'isole,
et mets assez d'espoir entre chaque parole
pour que le Dieu secret veuille te faire accueil.
L'aspect que lui donna le monde s'atténue !...
Dans l'émoi d'un mystère à demi révélé,
tu franchis pas à pas l'asile inviolé
où tout être ici-bas cache sa beauté nue...
Et tu vas voir, dressé contre le jour qui ment
et souille les couleurs en confondant leur gamme,
le vitrail que sertit le rêve au fond de l'âme,
surgir et flamboyer dans l'ombre, hautement !...