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Photo du rédacteurIrène de Palacio

Poème du jour : "L'assassinat du silence", Adrien Mithouard

"Les paroles de bruit sont vaines. Il a fui. Des mots qu'il ne dit pas se prononcent en lui."

Das Schweigen (Le Silence), 1799-1801

Johann Heinrich Füssli



Le Silence

Adrien Mithouard, L'Iris exaspéré (1895)


Le Silence, foulant des tapis d'herbe noire

Et détournant des yeux de moire et de mémoire,


Cherche très lentement quelque site muet.

Il fend une nuit lourde. Il songe qu'il se tait.


Etant une âme qui se crucifie, il rôde

En l'épaisseur de l'ombre que son oeil taraude.


Une pensée au fond de son coeur sans oubli

S'accoude. Son manteau l'enveloppe d'un pli.


Amer, le doigt levé vers quelque vague algèbre,

Il glisse dans une auréole de ténèbre.


S'il ne veut s'égarer qu'avec lui-même, c'est

Qu'il est d'une aventure effrayante qu'il sait.


Il est l'émotion vive qui reste coite,

L'angoisse. Son front nu pense dans l'ombre moite.


Les paroles de bruit sont vaines. Il a fui.

Des mots qu'il ne dit pas se prononcent en lui.


C'est d'être le marcheur sans verbe, le mensonge

Du Silence penseur qui sait et qui se songe.


Une main tout à coup sort du mur de la nuit,

Qui dirige à son coeur une lame qui luit.


Une jeune douleur a fait cette blessure

Au pèlerin désespéré d'une main sûre.


Sur le mur de la nuit, geste d'une autre main !

Il est tombé du coeur deux gouttes de carmin.


C'est ensuite un remords ancien lui glaçant l'âme :

Geste d'une autre main qui pointe une autre lame !


C'est ensuite le dard d'un impossible espoir :

Geste d'une autre main au coeur du Passant noir !


Toutes les mains ensemble, immobiles, poignardent

Le Silence. Les mains sont toutes là qui tardent.


L'ombre saigne. Il y point une lueur de poix.

Elles plongent en lui, lentement, à la fois...


D'une sûre lenteur, jamais interrompue...

Afin que l'épouvante intégrale soit bue...


Longtemps... Il est nimbé d'un cercle qui rougit :

La tâche rongeant l'ombre en l'ombre s'élargit.


Lui passe, retenant un mot suprême, un râle.

Parmi l'obscurité de sa pourpre, il est pâle,


Puis, jusqu'au plus secret de lui-même meurtri,

Choit en ensanglantant de la cendre, sans cri.

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