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Paul Vayson, « Rosa Bonheur » provençal — Par Patrick Faucheur



Né à Gordes en 1841, au sein d’une famille aisée dont le père est magistrat, Paul Vayson vit dans le château familial au pied des monts du Vaucluse et des contreforts du Ventoux et des Alpes. C’est à Avignon qu’il suit l’enseignement du lycée, avant de partir pour Paris faire des études de droit pour devenir avocat. Mais ses goûts et ses aspirations l’attirent ailleurs. Enfant, il aimait parcourir les bois et les champs de sa Provence natale, ressentant ses premières émotions au cours de ses promenades printanières, qu’il tentait de transcrire dans de premiers dessins. C’est à cet autre penchant qu’il se destine désormais, la peinture, avec pour objectif la représentation de son pays natal. A Paris, il se rapproche de Jules Laurens, originaire comme lui du Vaucluse, auprès de qui il commence à s’initier, et qui l’oriente vers l’atelier de Charles Gleyre qu’il rejoint à la fin des années 1850, à l’époque où ceux qui deviendront les impressionnistes fréquentent l’atelier. C’est là qu’il fait aussi la connaissance de Firmin-Girard, avec qui il restera très lié (1) et qui en fera d’ailleurs son portrait.


Firmin-Girard, Portrait de Paul Vayson



Il suit l’enseignement de l’atelier avec une certaine intermittence, entrecoupé de longs séjours en Provence, s’absentant parfois durant plusieurs mois. Il accompagne aussi volontiers ses amis en forêt de Fontainebleau et à Barbizon, pour peindre les paysages en plein air. Devant l’Enfant prodige, qui valut tant de succès à Charles Gleyre, il manifeste davantage d’intérêt au troupeau représenté plutôt qu’à l’image biblique de l’enfant prodige, confirmant ainsi son attrait pour les scènes rurales. Sa voie, dès lors, est tracée ; c’est à la peinture des animaux qu’il observe dans sa région qu’il veut se consacrer. Ses premières toiles au Salon de 1867 en sont une première illustration. La gardeuse de dindons et Fenaison en Provence (2) suscitent l’intérêt des critiques, dont Castagnary, et surtout l’enthousiasme de Courbet, qui l’encourage à poursuivre dans cette voie. Il persévère et expose dans les Salons suivants, avec quelques tableaux de fleurs, de nombreux pastorales et des paysages de Provence, représentant des bergers et leurs moutons dans des gorges, aux flancs des montagnes abruptes, parsemées de buis rougissants à l'automne. Il peint également des scènes de la Camargue.



Paul Vayson, Le Printemps



Il vit désormais entre Paris (3) et son château des Murs, près d’Avignon, où il aime venir se ressourcer dans sa Provence natale. De celle-ci, il fera plusieurs séjours en Camargue, où il peindra de nombreuses toiles.


Paul Vayson dans son atelier à Paris



C'est en 1875 qu’une première récompense lui est décernée, au Salon, pour sa Gardeuse de moutons, motif qu'il répètera plusieurs fois. Castagnary est sous le charme. C'est pour lui « un de ces tableaux qui, par la simplicité de la composition, la tenue du style, l'intelligente proportion des personnages avec la scène, captivent tout de suite l'attention ». Et il ajoute « Par le paysage, l'art devient indigène et retrouve son essentiel caractère. Il prend possession de la France, du sol, de l'air, du ciel, du paysage français. Cette terre qui nous a portés, cette atmosphère que nous respirons, ces fonds vaporeux que notre oeil contemple, tout cet ensemble harmonieux et doux qui constitue comme le visage de la mère patrie, nous le portons dans notre âme, et il tient à nous par les fibres les plus secrètes, nous aimons à le regarder, à le regarder encore. Chaque artiste, opérant sur la nature champêtre avec ses idées, son tempérament, sa manière, nous apporte de ce visage aimé une parcelle, nous en présente un fragment… Mais, toute poétique qu'elle soit, la campagne n'est que la scène. Il faut faire entrer l'acteur, c'est l'homme, c'est la vie humaine dont le peintre doit fixer les fugitifs contours. A celui qui saura représenter du même pinceau et du même talent l'acteur et à ta fois la scène, le prix appartiendra. »


Paul Vayson, La Gardeuse de moutons



Paul Vayson, Le berger son chien et ses moutons



Au Salon de 1879, Paul Vayson obtint une deuxième médaille avec une grande toile, Les moutons, paysage de Provence. Un berger, du haut du rocher, surveille son troupeau qui, dans un maigre pâturage, broute les touffes de férigoule, avec au premier plan un majestueux  bélier et un agneau, et au second plan, à côté du berger, le chien qui se penche au-dessus du rocher et semble compter les brebis. Il est aussi présent aux expositions universelles de 1899 et 1900, avec des tableaux représentant la Provence, où il est récompensé d’une médaille d’or.



Paul Vayson, Fenaison



Paul Vayson, Le Berger et ses moutons



L’une de ses œuvres majeures est son triptyque représentant la Légende de Saint Gens, patron du Comtat Venaissin. Le premier panneau est consacré aux prédications du Saint. Dans un site de collines plantées d'amandiers en pleine floraison, Gens évangélise les paysans dont les pasteurs de brebis. Dans le panneau central, un laboureur vêtu de peaux de chèvre a attelé à sa charrue une vache et un loup qui la tirent ensemble, travaillant la terre vierge. C'est le désert ou Gens s'est réfugié pour fuir ses concitoyens, qui l'ont maltraité parce qu’il blâmait leur paganisme, mais qui se sont depuis repentis. Le troisième panneau montre le saint, mort, couché dans le creux d'un rocher, au-dessus duquel le loup le pleure en poussant des hurlements. Dans ce tableau, le peintre a, une nouvelle fois, représenté le travail dans les champs, et le miracle de la nature.



Paul Vayson, La légende de Saint Gens



On a classé Paul Vayson comme peintre animalier, mais il fut en fait plus que cela. L’homme, comme un complément de l’animal représenté, est toujours présent dans ses tableaux. Il pourrait, à cet égard, être rapproché du qualificatif attribué à Jean François Millet : « ce sculpteur des hommes de la terre ». tant ses personnages sont incorporés au paysage et à la scène, non seulement par le costume, mais surtout par leur  physionomie, le hâle de leur peau, et la tâche à laquelle ils se livrent.

Maire de la commune de Murs où se trouve son château à partir de 1886, il fut aussi directeur des Beaux-Arts d’Avignon en 1910.

Paul Vayson est décédé à Paris en 1913. Un monument, dû au sculpteur Félix Charpentier, qui le représente en buste avec une bergère et ses moutons, est inauguré deux ans plus tard au rocher des Doms à Avignon, en présence de Frédéric Mistral qui l’admirait, et avec qui il était ami. Son attachement à la Provence, et les nombreuses représentations qu’il en a réalisées, en ont fait l’un des plus illustres personnages de la région. S’il est présent dans de nombreux musées, à Paris au Louvre, au Petit Palais, ainsi qu’en province, en particulier dans le sud, il est aussi connu pour son tableau représentant une évocation de la ville de Hyères avec ses palmiers, que l’on peut trouver au Train bleu, le buffet de la gare de Lyon, à Paris.



Patrick Faucheur

 


Notes :


(1) Firmin-Girard, en séjour chez son ami, peint des fresques représentant des scènes antiques dans une pièce du château des Murs.

(2) Le tableau est actuellement dans la salle des délibérations du Conseil départemental du Vaucluse.

(3) A Paris, il s’est fait construire un hôtel particulier rue Fortuny qui, quelques années après sa mort, a été habité par Marcel Pagnol.



Extrait des mémoires de Paul Vayson


L'existence que j'ai menée, dès ma plus tendre jeunesse, le milieu où se sont écoulés tous les jours qu'ont laissés libres mes études au lycée d'Avignon, dans un pays de soleil à demi inculte, avec de grands horizons, à travers les champs, les bois, les ruines, assistant du matin au soir aux travaux de la terre, aux évolutions de la lumière, dans le voisinage des paysans et de leurs bêtes, élevant des oiseaux, chassant ; cette existence, ce milieu, favorisait mes instincts de rêveur, et aussi de gribouilleur d’images. J'étais, en prenant la palette, forcément voué à la peinture du paysage, des animaux, des scènes rustiques. Les sensations de jeunesse ne sont-elles pas les plus fortes ? On n'échappe pas à leur influence si elles ont été vives, et n'est-ce pas une volupté de les revivre, de les traduire, surtout celles qui nous viennent de la nature et qui nous ont délicieusement émus.

Comment vous peindre ma joie, mon émotion, lorsque, après quelques heures de rude montée, j'apercevais à la pointe d'un mamelon la clarté chaude de mon petit village, dominé par le château à moitié en ruines ! Village brûlé de soleil, avec, pour toute parure, quelques treilles, quelques couples de cyprès majestueusement droits dans le ciel, çà et là des amandiers projetant sur l'herbe roussie leur ombre légère, et, tout au fond, le mont Ventoux, profilant ses ligues orgueilleuses. C'était le soir généralement, à l'heure où les villageois remontent Ientement vers leurs masures, les hommes courbés, tenant par une main leur pioche sur l'épaule, portant de l'autre la petite cruche dont l'eau a alimenté leur sueur ; les femmes, peu jolies mais robustes, avec une faix d'herbe sur leur tête qu'encadraient les liserons et les coquelicots débordant du faix ; par derrière, quelques maigres chèvres traînant leur corde sur les pierres du chemin. Parfois, c'était une bourrique velue faisant osciller une fillette assise sur un bât flanqué de paniers d'osiers, d'où émergeaient les longues oreilles et le museau d'un cabri nouveau-né, vers lequel la vieille bique tendait en chevrotant sa face camuse. Scènes familières de chaque jour. Et les tableaux se succédaient. A l'entrée du village, des bœufs encore sous le joug, l'œil allumé, semblaient vouloir vider l'auge de la fontaine communale en quelques longues aspirations pour apaiser leurs entrailles brûlées tandis que les brebis non moins altérées ramenées par les bergères, s’alignaient, quelques-unes agenouillées, le long de la rigole. Tout cela, délicatement doré par les reflets du couchant.

Nous arrivions enfin dans la cour de l'étrange castel, aux fenêtres gothiques hardées de fer, avec son vieux puits, surmonté aussi d'un motif de ferronnerie, et où venaient s'abreuver les bestiaux qui disparaissaient ensuite sous des portes à ogives. Ce château, envahi et quelque peu pillé pendant la Révolution, abandonné plus tard pendant de longues années de séquestre, n’était pas sans quelques points de ressemblance, en certaines parties, avec celui de Sigognac, ni sans quelque poésie, lion plus. Durant ces années d'abandon, toutes les intempéries, toutes les plantes parasites firent leur œuvre : le lierre ouvrit des brèches à la pluie et au mistral, des tours crénelées s'élancèrent des arbustes contorsionnés. Par les volets disloqués et le vide des carreaux manquants, les hirondelles élurent domicile sur les corniches, contre les grandes cheminées de pierre sculptée, le long des poutres peintes qui formaient les caissons des plafonds. Dans une immense chambre dont j'occupais avec mon frère les deux lits jumeaux, j'avais, chaque jour, l'œil attiré par d'assez belles peintures dans le goût italien qui couvraient le plafond et les murailles. Combien délicieux, nos réveils d'enfants. Dans la plénitude de notre affection d'échappés du même berceau, nous échangions nos impressions naïves sur ces déesses, ces allégories, ces natures mortes. Et ce qui nous ravissait par-dessus tout, c'était le gazouillis, le va-et vient incessant des hirondelles alignées sur les corniches, ou faisant à petits coups d'ailes le tour de la chambre pour se plaquer ensuite en étalant leur queue fourchue, contre les nids d'argile, leur tête à niveau du bord, et faire à leurs petits la distribution des moucherons. Quelques demi-cercles encore au plafond, un cri de joie, l'oiseau disparaissait dans la lumière... Aujourd'hui, le volet n'est plus disjoint, les murs n'ont plus de coins décrépis mais comme on garde dans un livre une fleur desséchée qui vous dit de douces choses, j'ai gardé ces nids sur la corniche. L'un des lits jumeaux est vide, et, lorsqu'au réveil je reste accoudé, les yeux vagues vers les peintures du plafond, je ne vois plus les gracieuses hirondelles décrire leurs arabesques, seuls les souvenirs y voltigent, et le charme fait place à la mélancolie.

C'est dans ce milieu d'art et de rusticité que j'ai grandi, cette première image du monde à laquelle nos yeux compareront toujours avec désenchantement toutes les autres. Autour, le paysage est fruste et aride, plus fait pour les poètes et les bergers que pour les fervents de la culture intensive ; par Ia nature du sol, il échappe aux lignes symétriques, de l'exploitation agricole, le gazon est remplacé par le thym et la lavande, et la garrigue est restée aux moutons. Ici, au moins, les chardons et les ronces ont leur place au soleil, les roches qui pointent ci et là garantissent du soc les genêts et les églantiers qui poussent dans leurs intervalles, ménageant des coins paradisiaques aux bergères et aux brebis. Là, petit enfant, j'ai pris mes ébats sur l'aire, déniché les merles, coupé des gerbes de fleurs sauvages. Les grands et beaux travaux de la terre à chaque saison me sont devenus familiers. Le soir, bien tard, étendu sur les gerbes avec mon frère, nous regardions évoluer les astres ; nous écoutions, non sans un peu de crainte, la rumeur mystérieuse des voix étouffées des grillons et le cri si doux, poussé à intervalles réguliers par la hulotte dans la clarté lunaire. Impressions ineffaçables qui façonnent le cœur et l'esprit d'un enfant et doivent, tôt ou tard, avoir une répercussion sur l’œuvre qu’il pourra produire. En grandissant, j'ai subi d'une façon plus raisonnée le charme des harmonies de cette nature, l'air si pur, où les fonds sont faits de nacre et de laque rose, avec en premiers plans toutes les richesses discrètes de la flore sauvage. J'étais frappé des allures des animaux ; des belles tâches dont ils enrichissent le paysage, des pittoresques jeux de lumière sur le poil ou la plume lustrés ; et mon esprit a reçu, pour ainsi dire, l'empreinte de tous les tableaux que bien ou mal j'ai exécutés plus tard les labours, les semailles, la fenaison puis, avec les gardeuses de dindons et de brebis, les bergers peaussus campés sur leur roche ; et encore les chercheurs de truffes ; tout cela dans mon petit coin provençal, le premier connu et aimé. Certes, en mes voyages en Italie, en Espagne, en Algérie, en Hollande, j'ai vu et admiré des pays autrement merveilleux en tous les points de vue ; mais je suis resté fidèle à ma terre sauvage, traduisant fout ce qui m'avait frappé. A défaut d'autres qualités, j'y ai apporté une sincérité scrupuleuse, avec l'absence de tout parti pris, reproduisant le plus fidèlement que j'ai pu ce que mes yeux avaient vu si souvent et qui m'avait charmé l'esprit. Non pas que je veuille dire qu'il suffit de copier servilement un morceau de nature, il va sans dire qu'à ces éléments de « nature », il fait ajouter un peu de son cœur. Dans, un pareil milieu, comment n'être pas tenté par la peinture des animaux. Le mouton n'est-il pas inséparable de la garrigue, et le bœuf de la glèbe ? Au surplus quand, à l'heure où le soleil décline, je rencontre un beau bélier ramenant, tête haute et d'un pas cadencé, son troupeau de brebis en agitant doucement sa lourde cloche, je trouve à ce sultan de la lande plus de tournure qu'à un académicien. Les animaux valent-ils moins que leurs maîtres. Le propriétaire d'une grande manade de taureaux, interrogé sur la sociabilité de ses hôtes, répondit : il n'en est pas d'aussi méchant que l'homme. Pouvais-je ne pas peindre les beaux moutons d'Arles, lis escabots. Ces troupeaux transhumants, que chaque fin d'automne fait descendre des Alpes

vertes dans les pierrailles de la Cran, en passant par nos villages ; innombrables troupeaux de moutons cornus, avec les grands boucs de tête chargés de faire là-haut la trace dans la neige, et la séquelle d'ânes porteurs des agneaux nés en route. Superbe motif qui a inspiré à Alphonse Daudet une des plus jolies « Lettres de mon Moulin » : Mes longues stations de chasseur dans les cabanes de gardians de Camargue m'ont fait aimer la poésie des grands horizons, des glorieux couchers de soleil, des étangs nus et sans fin comme le Vacarès où l'on n'entend que la plainte des courlis, des solitudes infinies où errent — à travers lis enganos les manades de chevaux blancs et de taureaux à robe noire. Quelles fortes émotions je lui dois, à cette belle Camargue ! La voix du mistral y est formidable ; quand il souffle, les bandes d'oiseaux migrateurs prennent, comme les nuages, une vitesse de vertige ; la mer gronde, les étangs se soulèvent et poudroient, ça décorne les bœufs. C'est bien le coin le plus sauvage de France, où la rudesse des hommes égale celle des animaux. Ici, les scènes n'ont plus la douceur de l'églogue, la pastorale a fait place au drame. C'est à coup de trident et à coup de gueule, que les taureaux sont jetés au Rhône qu’ils vont franchir à la nage, ou qu'on les pousse, le soir, au crépuscule vers le chemin des arènes d'où ils ne reviennent pas toujours. Et c'est encore du sang répandu lorsqu'en temps du rut, en des combats terribles, les cornes aiguës décousent les entrailles. Tous ces spectacles m'ont grisé, et j'ai éprouvé un besoin indicible d'en essayer la traduction sur la toile (...).



A propos de l'auteur :


Arrière petit-fils du peintre Firmin-Girard, Patrick Faucheur a vécu depuis son enfance au milieu des nombreuses oeuvres du peintre restées dans sa famille. Après des études d’architecture et de sciences politiques, il a notamment eu des responsabilités dans le domaine du patrimoine. Intéressé depuis toujours par la peinture, il a complété ses connaissances en histoire de l’art en suivant les cours de l’Ecole du Louvre sur l’art du XIXème siècle. Après avoir poursuivi des recherches sur l’oeuvre de Firmin-Girard, il a entrepris la préparation d’un catalogue raisonné et d’un ouvrage sur le peintre.

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