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Nietzsche et Dostoïevski : Les chemins de la vie

Dernière mise à jour : 14 mars 2021






Extraits de :


Mireille Cifali


Une lecture actuelle de Nietzsche et Dostoïevski:

Leur apport à l’éducation




« Est-ce que, réellement, la terre a été faite pour des gens comme nous ? »

Dostoïevski

L’adolescent



"A travers leurs oeuvres, Nietzsche et Dostoïevski nous ouvrent de nouveaux horizons.

Nietzsche, éveilleur de conscience selon Pinto, est pour De Pourtalès le dernier prophète de l’Europe intellectuelle. Sa pensée nous interpelle, nous oblige à nous questionner, à évoluer dans l’examen de nous-mêmes et du monde. Nietzsche apparaît comme l’exception finalement incompréhensible, qui, sans être un prototype à imiter, est irremplaçable dans l’éveil qu’elle nous apporte, à nous qui ne sommes pas des exceptions. Il ne propose aucun système philosophique, et on ne le lit pas pour apprendre, mais pour devenir.


Selon Jaspers, ce qui reste de la doctrine de Nietzsche, ne serait finalement qu’un cheminement, un état constant de cheminement. Il osa les positions les plus diverses. Pour Heidegger, Nietzsche est le personnage le plus stimulant de la pensée qui interpelle encore directement. Dostoïevski de même.


Chez Dostoïevski, le sujet d’aventures se combine à un examen de problèmes profonds et aigus. L’oeuvre de Dostoïevski ne ferait finalement que raconter l’histoire du rapport à autrui. Il est devenu irréfutable pour chaque être qui veut découvrir l’âme humaine, qui veut découvrir le monde et soi-même. Quiconque arrive à une profonde connaissance de soi-même reconnaît bien que Dostoïevski a touché les limites extrêmes de toute humanité. Réfuter Dostoïevski, c’est peut-être réfuter un des visages fondamentaux de la condition de l’homme. Et c’est toujours un peu se réfuter soi-même.


A notre époque l’homme continue à se réfuter lui-même. Il se cache dans son trou. Il se cache également son propre visage. Et un de problèmes fondamentaux d’aujourd’hui demeure l’impossibilité des hommes de partager, de communiquer entre eux. L’homme évolue dans l’incertitude et dans le doute. A travers les souffrances du grandir. Dans une route inconnue il n’y a pas de sûreté. Mais il faut accepter l’inquiétude si l’on veut évoluer.


Dans Considérations inactuelles, Nietzsche écrit :


« Et l’incertitude est une source abondante de souffrances pour celui qui est en voie de développement ! »

L’être en voie de développement est toujours sur le chemin, dans l’insécurité. Or il assume son manque de sûreté ; il est sûr que rien n’est sûr, que toutes les opinions peuvent être temporaires. Mais il réclame sa liberté d’avoir des opinions et sa liberté de changer d’opinions.


Dans Humain trop humain Nietzsche affirme cette pensée moderne :


« Nous ne nous ferions pas brûler pour nos opinions, tant nous sommes peu sûrs d’elles. Mais peut-être pour le droit d’avoir nos opinions et de pouvoir en changer. »

Pour Nietzsche, l’évolution comporte également la trahison. Avoir atteint une vérité, c’est l’avoir, du même coup, dépassée. Il est impossible de traverser une étape de la vie sans laisser derrière soi le passé, sans abandonner ce passé pour entamer une autre étape. L’homme véritable doit se référer à des normes variables s’il veut rester libre. Et c’est grâce à ces normes variables qu’il peut évoluer.


C’est l’opinion de Nietzsche dans Humain trop humain :


« Sommes-nous obligés d’être fidèles à nos erreurs, même après avoir reconnu que par cette fidélité nous portons dommage à notre Moi supérieur ? - Non, il n’y a point de loi, point d’obligation de ce genre ; nous devons être traîtres, pratiquer l’infidélité, abandonner toujours et toujours nos idéaux. Nous ne passons pas d’une période de la vie à une autre sans causer et aussi sans ressentir par là les douleurs de la trahison. »


On ne doit pas croire que les changements d’opinions transforment notre être, nous dit Nietzsche. Non, ils nous rendent tout simplement capables de découvrir d’autres côtés de notre personnalité, ils nous aident à nous connaître sous une autre lumière. Il n’y a pas de moi permanent. L’homme libre est toujours en mouvement et en évolution. Pour Nietzsche, l’homme qui ne change pas d’opinion cesse d’être un esprit libre.


Il dit dans Aurore :


« Le serpent périt lorsqu’il ne peut pas changer de peau. De même les esprits que l’on empêche de changer d’opinions cessent d’être des esprits. »

Dans Les possédés de Dostoïevski, Chatov, le porte-parole de l’auteur, change également de conviction. Comme Dostoïevski autrefois qui a abandonné le cercle de Petrachef, il abandonne ses amis terroristes. Chatov dit à Marie :


« J’ai entendu dire que tu me méprisais pour avoir changé de conviction. Mais qui donc ai-je abandonné ? Des ennemis de la vie vivante, de petits libéraux arriérés, qui ont peur de leur propre indépendance ; des laquais de la pensée, des ennemis de la personnalité et de la liberté, des propagandistes décrépits de la charogne et de la pourriture ! »





Rester avec sa propre erreur plutôt qu’avec la vérité malvenue est une idée qui revient souvent dans la bouche des personnages de Dostoïevski. Ils cherchent leur propre limite ; ils vont jusqu’à l’extrême de leur moi , ils veulent connaître les tréfonds de leur être. Et cette

connaissance passe indéniablement par l’erreur. Dostoïevski donne à l’erreur un nouveau statut, elle n’est que l’échelle pour monter jusqu’à la vérité. Se tromper d’une façon originale, c’est plus noble que de se conformer à une vérité commune, dit Razoumikhine dans Crime et châtiment :


« J’aime cela, qu’on se trompe ! ... C’est la seule supériorité de l’homme sur les autres organismes. C’est ainsi qu’on arrive à la vérité ! Je suis un homme et c’est parce que je me trompe que je suis un homme. On n’est jamais arrivé à aucune vérité sans s’être trompé au moins quatorze fois ou peut-être même cent quatorze et c’est peut-être un honneur en son genre. »


A travers la philosophie, les sciences et l’art l’homme a toujours désiré trouver la vérité. Toute sa vie est quelque part une quête du vrai. Et le premier pas vers la vérité débute par le soupçon envers les vérités accréditées, enseigne Nietzsche dans Humain trop humain :


« La foi en la vérité commence avec le doute au sujet de toutes les "vérités" en quoi l’on a cru jusqu’à présent ».

Mais la vérité et le mensonge sont entremêlés, ils n’existent pas l’une sans l’autre. La vérité est pour Nietzsche un petit grain véridique parmi tant d’illusions, un petit grain qui peut-être un jour fleurira. Difficile est le chemin qui mène à la vérité, où la clarté s’entrelace avec les ténèbres. Suivre ce chemin est le sort de celui qui cherche la vérité.


Dans Humain trop humain Nietzsche écrit :


« Il faudra que, pendant un temps, la lumière s’appelle obscurité : c’est là le chemin qu’il vous faut suivre. Ne croyez pas qu’il vous mènera à des arbres fruitiers et à de belles prairies. Vous trouverez sur ce chemin de petits grains durs - ce sont des vérités : pendant des années il vous faudra avaler des mensonges par brassées pour ne pas mourir de faim : quoique vous sachiez que ce sont des mensonges. Mais ces petits grains seront semés et enfouis dans la terre, et peut-être la moisson viendra-t-elle un jour. »


Mais pouvons-nous être sûrs d’avoir un jour trouvé la vérité dans quel que domaine que ce soit ? Les vérités se suivent et se renversent l’une l’autre à travers les siècles. Les vérités sont si relatives... Celui qui croit avoir trouvé la vérité absolue sur un point quelconque de la connaissance, se trompe assurément.


Il est moins dangereux de mentir que d’avoir la conviction de détenir la vérité, nous dit Nietzsche dans Humain trop humain :


« Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges ».

Donc, point de conviction. Que le doute et l’élan nous accompagnent dans notre chemin de vie et de connaissance, dans notre quête de la vérité !


La vérité communiquée par Nietzsche n’est partagée que dans l’acte où elle vient de nous-mêmes. Personne ne peut jamais apprendre ce qu’il ne sait pas. Aucun ne peut avoir accès à la fleur dont le germe n’existe déjà dans son cœur. Si les réflexions des autres nous émeuvent, c’est parce qu’elles sont déjà en nous, sous une forme latente. Mais notre vérité est toujours une autre vérité. Ecoutons celui qui ne trouve pas une vérité, mais crée un point de vue , le maître Zarathoustra :


« Je suis arrivé à ma vérité par bien des chemins et de bien des manières : je ne suis pas monté par une seule échelle à la hauteur d’où mon œil regarde dans le lointain ».


La vérité est pour chacun la seulement perspective qui s’ouvre pour lui sur les choses. Il n’y a pas deux perspectives semblables, à chacun de trouver la sienne. A chacun de trouver son chemin et sa vérité. Aucune méthode n’est valable pour apprendre à s’acheminer dans la route de la vie.


Dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche souligne :

« Cela est maintenant mon chemin - où est le vôtre ? Voilà ce que je répondais à ceux qui me demandaient "le chemin". Car le chemin n’existe pas ».

L’homme peut aller loin par des sentiers non battus."



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