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Photo du rédacteurIrène de Palacio

Léonce Depont, le Parnassien méconnu

Dernière mise à jour : il y a 1 jour


"Mon âme est une harpe aux extases bénies."



Rare portrait de Léonce Depont



Déjà peu célébré de son vivant, Léonce Depont ne gagna pas en reconnaissance après sa mort. Il est pourtant difficile de rester insensible à la richesse et à la qualité de ses vers, qui n'ont rien à envier à ceux de ses maîtres Coppée et Heredia. Mais son enfance marquée par la maladie, sa réserve et sa mélancolie, voire son franc pessimisme, firent de lui un homme de l'ombre, étranger aux cercles littéraires. "M. Léonce Depont n'a que des ambitions très douces", écrivait Jean Ernest-Charles dans La Revue politique et littéraire du 31 mai 1902, "et son talent lui permettrait d'en avoir de plus violentes." Né à Surgères en 1862, il étudia au lycée de La Rochelle avant de devenir professeur de lettres et de partir pour la capitale. Après y avoir enseigné pendant près de quinze ans, il se retira dans sa chère région natale de Saintonge, dont il avait toujours gardé un souvenir ému.

Léonce Depont publia quatre recueils de poésie : Sérénités en 1897 ("pur, grave et noble livre (...), haute et sérieuse pensée, (...) style ample et sûr", selon Catulle Mendès), Déclins en 1899, Pèlerinages en 1902, et Le Triomphe de Pan en 1905. Il collabora également à des périodiques, dont la Revue des Deux Mondes et La Revue de Paris. Poète accompli, ses vers sont bucoliques et sensibles sans être mièvres, profonds et philosophiques mais sans lourdeur, et formellement irréprochables, d'une inspiration très personnelle malgré son rattachement au mouvement parnassien. Depont se distingue notamment par une série de poèmes qui n'est pas sans rappeler les Complaintes de Laforgue, avec cette variation originale autour du "Couchant" ("Couchant triomphal", "Couchant imaginaire", "Couchant extatique", "Couchant surnaturel", "Couchant infernal", pour n'en citer que quelques-uns).

S'il tint à rester en retrait des cercles mondains, le timide Léonce Depont ne fut pas oublié de l'Académie française, qui couronna son travail à quatre reprises. Il n'en tira nul orgueil ni n'en fit un titre de gloire. Affaibli par une santé décidément fragile, il mourut dans la plus grande discrétion à Surgères, en 1913, à l'âge de cinquante-et-un ans. Malgré son absence de notoriété, de nombreux articles de presse s'attardèrent à saluer la mémoire d'un poète modeste mais de grand talent.


*Catulle Mendès, Le mouvement poétique français de 1867 à 1900, 1903



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Choix de poèmes



Couchant d'automne

Sérénités, 1897


Prosterne ton orgueil, ô mon rêve ; humilie

Ta gloire : le soleil sur la forêt descend.

Contemple et courbe-toi, car le flambeau puissant

Epanche tout l'amour dont son âme est remplie.


Des cieux magnifiés, de la terre embellie,

Jaillit l'hymne des soirs ; et le soleil, versant

Aux feuillages rouillés un long fleuve de sang,

Les revêt de splendeur et de mélancolie.


A cette heure, ô soleil, mes yeux extasiés

Ne voient de toutes parts que d'immenses brasiers ;

Mais quand la nuit viendra, d'astres ensemencée,


Vainement chercherai-je, anxieux, éperdu,

Devant ce même ciel, ta dernière pensée,

Reflet de pourpre, en l'or des frondaisons fondu.



Couchant mystique

Sérénités, 1897


Le couchant est divin, et mes rêves fervents,

Sous un effeuillement de larges fleurs mystiques,

Y distinguent, vêtus d'étranges dalmatiques

Et marchant vers l'autel, de graves desservants.


Dans la pourpre sereine et changeante, les vents,

Transformant un nuage en vastes tours gothiques,

Apportent jusqu'à nous l'écho de tels cantiques

Que les coeurs les plus morts se redressent, vivants.


Et toi, comme eux, ô coeur incompris, tu tressailles,

Croyant voir célébrer de douces fiançailles

Dans ce décor magique et sous ce ciel de feu ;


Et quoique las, bien las d'attendre l'infidèle,

Tu laisses ta prière, ainsi qu'une grande aile,

Caresser en planant l'immense front de Dieu.



Faucheur idéal

Sérénités, 1897


Dans ce monde cruel où vautours et gerfauts

Règnent, où les lions déchirent les gazelles,

Où ce qui rampe hait ce qui porte des ailes,

Où l'on marche appuyé sur des préjugés faux,


Ô penseur, fais siffler ton idéale faux.

Couche à terre, animé de mystérieux zèles,

Douleur, honte, imposture, et que gisent sous elles.

L'hécatombe hideuse et les chars triomphants.


Que l'éclair d'acier passe et repasse sans cesse,

Tranchant iniquité, trahison et bassesse ;

Quant à toi, grave apôtre, après un labeur tel,


Fait de marbre ou taillé dans un bloc granitique,

Et dressé comme un dieu devant quelque portique,

Repose pour jamais sur le socle immortel.



Le Refuge

Sérénités, 1897


Pour fuir la vision accablante du mal,

Entrant dans l'Art sacré comme en un sanctuaire,

Je sculpte ma pensée, indigne statuaire,

Apôtre à qui manqua le signe baptismal.


Et je dis, cependant que du pur bloc natal

Se dégage l'ébauche en sa grâce première :

"Son front baignera dans une calme lumière,

Quelque rocher géant sera son piédestal."


Alors, les yeux charmés, la poitrine élargie,

Dans l'asile sublime où je me réfugie,

Je sens éclore en moi la divine bonté ;


Et l'inspiration, flèche qui siffle et vibre,

Rendant l'âme sereine et faisant l'esprit libre,

Prend son vol fier, d'étoile en étoile emporté.



La Harpe

Sérénités, 1897


Mon âme est une harpe aux extases bénies,

Qui vibre au moindre souffle, amer ou caressant,

Et dont le plus léger rêve tire en passant

De suaves accords ou d'âpres harmonies.


Lointaine vision des dieux et des génies,

Nature immense, appels du malheur gémissant,

Sous un ciel morne, ou dans l'azur éblouissant,

S'en exhalent parfois en plaintes infinies.


Mais l'instrument sonore attend toujours la main

Qui doit faire jaillir un concert surhumain

Des cordes, par l'amour et la pitié tendues ;


Mêlant alors, sous ses chers doigts musiciens,

Les bonheurs pressentis aux désespoirs anciens,

Dans l'essor triomphal des notes éperdues.



Remords

Sérénités, 1897


Oui, je me sens lié par d'innombrables fils,

Fils de vaines pitiés, d'illusions perdues,

Au-delà l'infini des mornes étendues,

A tant d'êtres lointains, à tant de chers profils ;


Tant de coeurs oubliés, en leurs appels subtils,

Me troublent si souvent de leurs voix confondues,

Que je me dis, songeant aux larmes répandues :

"Les fantômes jadis rencontrés, où sont-ils ?"


Ah ! sécher ces yeux qu'a brûlés la douleur vraie !

Semer le froment pur où foisonna l'ivraie !

D'impérissable amour marquer ces fronts mortels !


Mais l'onde du Passé d'aucun pli ne se moire,

Et je les trouve à peine au fond de ma mémoire,

Effacés et ternis comme d'anciens pastels.



Affinités

Sérénités, 1897


A force d'écouter gémir le vent qui passe,

Le bouleau qui se plaint, le flot qui disparaît,

Rêveur, ton âme triste est la verte forêt

Et le glauque océan qui remplissent l'espace.


A force d'envier à l'oiseau que déplace

Un coup d'aile son vol rapide comme un trait,

Poète, ton esprit hanté par le regret

Vers l'idéal prend un essor que rien ne lasse.


Et c'est pourquoi le vers, hôte souple et divin,

Vit en ton âme ainsi qu'en les bois un sylvain ;

C'est pourquoi la pensée, infatigable grèbe,


Parcourant l'océan de ton coeur immortel,

Le rend joyeux et pur comme l'aurore, ou tel

Que les rives d'angoisse où serpente l'Erèbe.



Pitié de fleur

Pèlerinages, 1902


La fleur a voulu croître, en sa grâce divine,

Dans l’aride chaos de cette âpre ravine.

Pitoyable, elle épand son âme tendre au fond

D’un gouffre où le vertige en la terreur se fond.

Elle reste la joie et la parure uniques

Du lieu farouche où, pris de soudaines paniques,

Comme un funeste vol passent les aquilons ;

Car ni l’éblouissante aurore aux reflets blonds,

Ni les éclairs pourprés que le soir ressuscite,

N’osent descendre au cœur de l’effroyable site.

Et le pâtre qui loin du foyer s’exila,

Et que sa troupe agreste a conduit jusque-là,

Avec les durs béliers errant de roche en roche,

S’il aperçoit la fleur sauvage, s’en approche,

Et, tandis que l’écho vibre au bruit de ses pas,

La contemple, songeur, et ne la cueille pas.



Gloires vespérales

Poème paru dans la Revue des Deux Mondes (5e période, tome 49, 1909)


Tel un calme océan dont le tranquille flux

Envahit une grève et la submerge toute,

Le soir en les noyant d’ombre errante veloute

Les cimes que l’éclat du jour ne trahit plus.


Le murmure attardé d’une invisible guêpe

Caresse les jasmins d’un frôlement léger,

Et le parc qui frissonne et qui paraît songer,

Par instants se recueille et se voile de crêpe.


Un lys près de mourir, comme un suprême aveu

Exhale un dernier baume au vent tiède qui passe.

Les tilleuls effleurés par une haleine lasse

Me dérobent un pan du ciel déjà moins bleu.


Le vaporeux encens d’une fragile brume

Ouate pour l’amollir en un halo vermeil

L’agonie impuissante et fière du soleil,

Dont le disque échancré lentement se consume.


Loin vers l’Ouest, entre deux nuages frangés d’or,

Dans une profondeur de vertige et de rêve,

Une île d’ambre rose éteint sa gloire brève,

Qui charmait les regards et les captive encor.


Une part du Levant s’attendrit d’améthyste,

Où vient d’éclore à peine un astre adamantin,

Et j’imagine, ainsi qu’un fraternel destin,

La solitaire étoile en son infini triste


Tout demeure imprégné d’irréelles couleurs :

Mais, comme s’il neigeait quelque impalpable cendre,

Je sens une plaintive angoisse en moi descendre

Et la douleur du soir se fondre en mes douleurs.


O nostalgique soir, vers qui l’âme s’élance ;

Dont le mystère attire alors que tout s’est tu,

Sur la plaine immobile, ô soir, comment fais-tu

Une telle harmonie avec un tel silence ?


Dans quelle transparence élyséenne, ô soir,

Veux-tu que le Croissant baigne sa pâle face,

Quand ton doigt solennel estompe, puis efface

La colline plus vague et le vallon plus noir ?


De quel tulle soyeux composes-tu la trame

Qui souple ondule et glisse et flotte et vêt les eaux,

Les bois, les prés, les champs, de fluides réseaux,

Tandis qu’émus le bœuf appelle et le cerf brame ?


Retrouverai-je, ô soir, dans l’espace et le temps,

La minute d’extase et de mélancolie

Par une autre minute ici-bas abolie,

Où j’eus la vision des choses que j’attends ?


Evoquerai-je, épris d’une espérance vaine,

Dans un siècle à venir, la cruelle douceur,

L’inapaisable amour, le délire obsesseur

Dont la brûlure allume une fièvre en ma veine ?


Ou plutôt, épuisant l’antique Sablier,

Pour mettre un terme à tant de voluptés amères

Quel soir m’accordera, pitoyable aux chimères,

La grâce de mourir et celle d’oublier ?

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