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Photo du rédacteurIrène de Palacio

Louis Pergaud, poète

Dernière mise à jour : 11 avr. 2022


"Je vais comme un artiste amoureux d'imprévu, Soucieux de surprendre aux voûtes de son âme Le vieux secret brillant en syllabes de flammes Des paradis rêvés et qu'il croyait perdus."

Louis Pergaud, "Culte intérieur"

L'Herbe d'Avril, 1908


Louis Pergaud à sa table de travail, 1910

[photographie de presse] / Agence Meurisse

Gallica/BnF



De Louis Pergaud (1882-1915) reste surtout, dans la mémoire collective, sa Guerre des Boutons, roman publié en 1912. Peut-être aussi son prix Goncourt, en 1910, pour le recueil de nouvelles De Goupil à Margot, Histoires de bêtes. Et des écoles, des rues qui portent son nom. "Louis Pergaud ? Ah oui, celui qui a écrit sur les animaux...". On a laissé dans l'ombre Pergaud le poète, qui n'est plus guère célébré. Il faut dire que, mort jeune, tué à la guerre en 1915, il n'a laissé qu'un trop court témoignage de son talent littéraire. Et que le retentissant succès de La Guerre des Boutons, qui s'offre de nombreuses éditions et traductions depuis sa parution initiale, a quelque peu éclipsé tout le reste. Toujours est-il que l'on déplore, aujourd'hui, qu'une telle oeuvre poétique ait pu tomber si vite dans l'oubli après la disparition de son auteur. C'est aussi ce qu'a pensé l'association des Amis de Louis Pergaud, qui a établi et fait publier, en juillet 2021 et pour la première fois, l'intégrale des poèmes. Voilà que La Fuite des Choses, titre choisi pour cette édition, vient pallier la pauvreté de toutes les éditions précédemment publiées. Cette anthologie est l'occasion de découvrir ou redécouvrir les poèmes de Pergaud, qu'il publia en son temps dans deux recueils : L'Aube (1904), et L'Herbe d'Avril (1908), mais aussi des poèmes inédits, des vers de jeunesse alors qu'il était étudiant à l'École Normale, et des poèmes inachevés. La lecture de ces textes ainsi présentés, donnant un beau panorama du talent de Louis Pergaud, permet de redonner vie à une brillante carrière poétique trop tôt avortée.

C'est le poète Léon Deubel, que Pergaud admirait tant, qui avait incité ce dernier à publier ses premiers poèmes et à se faire connaître. Leur profonde amitié est née d'une rencontre initiée par Eugène Chatot, condisciple de Deubel au collège de Baume-les-Dames, et ami d'enfance de Pergaud. Louis Pergaud a toujours été plein d'admiration pour le poète belfortain et ses tragiques aventures, que Chatot lui contait. Il est ému par le destin de Deubel, rêve de le sauver, et, à défaut, de le faire connaître. Pourtant, il vient de perdre son père, puis sa mère, successivement. Devenu orphelin, sans le sou lui aussi, il vit depuis peu chez son oncle maternel... Mais il trouve dans cette admiration nouvelle et ce début d'amitié quelque réconfort. Pergaud écrit à Deubel qu'il n'ose lui faire lire ses poèmes, qu'il juge inférieurs au talent de son destinataire. Deubel l'encourage malgré tout, et une belle correspondance s'ensuit. Un peu plus tard, Louis Pergaud aide à faire connaître La Chanson balbutiante (1899) auprès de ses camarades de l'École Normale. Même si l'entreprise n'est pas un franc succès, leur amitié est scellée.

Pierre Rouget, le directeur de l'École Normale de Besançon où Pergaud a étudié, brosse un émouvant portrait de Louis Pergaud dans son rapport de fin d'études* : "Plein de bonnes intentions, aimable mais nerveux, très impressionnable, parfois exalté. Ne sait pas toujours se maîtriser. Intelligent. En particulier, doué d'une heureuse mémoire. Ne manque pas de jugement quand il est de sang-froid. Possède des connaissances sérieuses. A du goût pour les études littéraires. Mérite qu'on s'occupe de lui..." Un peu plus haut, il notait : "Orphelin de père et de mère depuis l'an dernier, son jeune frère et lui ne possèdent pas d'autres ressources que la modeste pension de 240 francs (par an) qui leur est allouée après la mort de leurs parents."

En octobre 1901, Louis Pergaud débute tout juste dans l'enseignement, à Durnes dans le Doubs où il a été muté. Mais il garde sa poésie en tête, relit les vers qu'il avait consignés dans des cahiers. Il s'imprègne aussi de ceux de Léon Deubel, et rêve de publier un recueil à son tour : celui qui aura pour titre L'Aube. Il publie dans des revues ; Le Flambeau, le Petit Comtois, entre autres. Et, surtout il lit, beaucoup, et sans doute bien plus que ses collègues instituteurs avec qui il peine à s’entendre. Il les massacre d’ailleurs allègrement dans une lettre de janvier 1904 à son ancien directeur d'école : "(...) si cassants dans leurs affirmations absurdes de lieux communs acquis. (...) Tout en eux dénote l'individu sûr de soi, l'homme qui s'estime supérieur, le minuscule Pic de la Mirandole, lumière du village où vaticine la pédanterie."

S’il ne noue pas de liens avec ses confrères enseignants, il a la joie de voir enfin concrétisée son amitié avec Léon Deubel, le 23 septembre 1903. Ce jour-là, Léon Deubel assiste en qualité de témoin au mariage de Louis Pergaud et de Marthe Caffot, jeune institutrice. Rencontre tant espérée pour Pergaud, après leur échange de lettres nourri... Pergaud entreprend alors d'héberger Deubel chez lui à Durnes, et reste sourd aux protestations discrètes de sa femme, qui accepte difficilement de passer après le poète vagabond. La complicité de cette amitié rend leur travail fécond ; bientôt Deubel encourage Pergaud à publier, enfin, son recueil, qu’il fait éditer par la revue du Beffroi tenue par Léon Bocquet, ami commun. Léon Deubel quitte le domicile de Durnes en 1904, puis revient un an plus tard. Pergaud raconte ces moments partagés dans la très belle préface qu’il donnera au recueil de Deubel Régner (1913), paru à titre posthume.

Bientôt, d’autres vers s’ajoutent à ceux que Pergaud a publiés dans les revues et dans L’Aube. Il a quitté Marthe et rencontré Delphine Duboz, de qui il est tombé amoureux (il l'épousera en juillet 1910). En août 1907, il part s’installer à Paris où il retrouve Deubel et la misère... Et après quelques temps passés à la Compagnie des Eaux, où il occupe un petit emploi, en 1908 paraît enfin L’Herbe d’Avril, qu’il a péniblement fait éditer à cent exemplaires. Le recueil reçoit un bon accueil de la part de ses amis (Léon Bocquet et Léon Deubel ayant été tous deux laudatifs, bien sûr). Mais aucun de ces poèmes ne retient l’attention comme le fera le recueil De Goupil à Margot qu’il publiera deux ans plus tard et qu’il faudra faire réimprimer. Ou comme La Guerre des boutons qui est aujourd’hui la seule œuvre de Pergaud dont le titre soit dans toutes les mémoires.

Deux années passent. Le 2 août 1914, Louis Pergaud écrit à son ami écrivain Lucien Descaves** : "Demain lundi je pars pour Verdun et je viens vous dire au revoir. Vous savez si je hais la guerre ; mais vraiment nous ne sommes pas les agresseurs et nous devons nous défendre. C’est dans cet esprit que je rejoins mon corps. Paris a été digne et grave. Hier soir, je voyais des femmes et des gosses accompagnant le mari qui allait partir… et j’étais saisi de rage contre les misérables qui ont préparé et voulu l’immonde boucherie qui se prépare. Tant pis pour eux si le sort nous est favorable !

Je vous embrasse.

Louis Pergaud, Sergent, 29e Compagnie du 166e d’Infanterie."

Descaves ne le reverra plus. A peine deux ans après le suicide de Léon Deubel, Louis Pergaud est allé rejoindre son ami fidèle lors d’un assaut à Marchéville-en-Woëvre dans la Meuse, dans la nuit du 7 au 8 avril 1915. Il avait trente-trois ans. Son corps n’a jamais été retrouvé.


* Anecdote issue du livre Louis Pergaud par Henri Frossard, 1982

** Lucien Descaves, Préface pour Les Rustiques de Louis Pergaud, 1921



A lire aussi, sur anthologia :




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Poèmes choisis

Ces poèmes ont tous été tirés de l'anthologie La Fuite des Choses parue en 2021 aux "Editions du Sékoya".



L'Âme décadente

Poème de jeunesse


A Prémoy*, qui est enfin arrivé

à les comprendre et à les aimer

* Eugène Prémoy, camarade de promotion de Louis Pergaud à l'Ecole Normale



Devant la vie boueuse et le néant des choses

Quand nous voyons surgir les aubes quotidiennes

Impassibles témoins de ces métamorphoses

Quand le chant des matières, dolent comme une antienne

Monte dans l'éther parfumé.

Quand nous sentons très bien le vide sur nos têtes,

Le vide sous nos pas et le vide en nos coeurs,

Frêles nefs ballottées par la grande tempête

De la vie, nous sentons un sourire moqueur

Sur nos lèvres tristes germer.


Nous avons vu tomber dans l'oubli léthéen

Des moissons de héros des siècles révolus ;

Nous avons trop compris, hélas que tout est vain,

Que les maudits d'en bas tout comme les élus

Sombreront dans l'âpre tourmente.

Nous avons traversé, ironiquement tristes

Le troupeau glapissant des hommes en démence ;

Nous avons mis le cap sur la sainte souffrance

Et cultivé très fiers, bien que rien ne subsiste,

Nos chagrins comme de rares plantes.


Nos chants sont les échos de nos âmes dolentes

Assoiffées d'un futur mystique et fallacieux

Un éternel ennui se reflète en nos yeux

Et nous nous éteindrons comme des fleurs mourantes

Au chaud déclin d'un jour d'orage.

Les obliques rayons de purpurins soleils

Saignent immuablement en de glorieux couchants;

Et d'antiques complaintes surgies de leur sommeil

Viennent nous mordre au coeur comme des revenants

Gonflés d'une farouche rage.


Quand nous avons cherché le pourquoi de la vie

Nous nous sommes heurtés au néant formidable ;

Nos pas ont persisté sur la route suivie

Et nous plongeons nos yeux au gouffre épouvantable

Insoluble et troublant problème.

La vie ? Rêve inégal, hétérogène et fou,

Embarquement forcé pour une île mystique

Songe brodé d'azur ou semé de cailloux,

Dans lequel nous gueusons miséreux ou cyniques

Le front tout moite de sueurs blêmes.


Les serments mensongers, les amours illusoires

Iront tous s'engloutir dans le néant de l'être !

Ô passions ridicules ! Fantoches du paraître

Qui vainement cherchez une éphémère gloire

L'abime est sous vos pas béant.

Qu'est-ce que notre instant dans l'éternité

Une nue fugitive en un ciel orageux

Puisqu'après tout ce n'est qu'un vain rêve fumeux

Courbons nos fronts devant ce noir illimité

Vie éternelle du néant.


Dans notre soif d'amour et de vie et d'espace

Hautainement rivés aux vérités lointaines

Nous avons détourné nos yeux du flot qui passe

Et nous avons fait fi de tant de choses vaines

Produits bâtards d'années sans nombre.

Vous seuls avez vécu, nos grands aînés, nos maîtres

Baudelaire, Rimbaud, Laforgue et Paul Verlaine

Car vous avez souffert et vos âmes hautaines

Malgré les cris haineux, ont "ouvert la fenêtre"

A ceux que "hantent vos grandes ombres." [référence au texte signé par Léon Deubel et Hector Fleischmann, dédié "à la gloire trinitaire de Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et Jules Laforgue", qui se termine par "derrière les tentures savantes que hantent vos grandes ombres.".]


Durnes, 14 mars 1902



Louis Pergaud jeune. Photographie sans date.



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Poème publié dans le recueil L'Aube (1904), sans titre :


Le soir entrait à flot par les baies de mon âme

Grandes ouvertes à ses onduleux remous,

Et m'imbibait de rêve, éponge de sa lame

Voguant sur l'incertain de ses horizons flous.


Son flux puissant et doux envahissait la terre,

Et me roulait en lui, épave d'autrefois

Que les grandes marées reprennent chaque mois

Aux lointains ignorés des plages solitaires.


Lors, j'ai flotté longtemps par-delà mon destin

Sur des houles de nuit que berçait le silence,

Au gré des aquilons soufflés par ma démence

Loin du bestial réel des horizons humains.


Puis un frisson rida ma chair appesantie ;

Le soir s'était dissous dans une encre funèbre :

Mes yeux habitués virent dans la ténèbre

Le néant de la nuit se pointiller de vie.


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Les Belles du Passé

L'Aube, 1904



Toutes, je les revois, les belles du passé

Albert Samain


Voici, plus purs encore, sous la gaze du temps

Que vos corps ont frémi au fond de ma mémoire,

Un pâle clair de lune tremblote sur l'histoire...

Vos yeux m'ont-ils souri chères amies d'antan ?


Drapées de crépuscule et de lentes musiques,

Vos ombres, en cortège, ont passé dans ma vie

Et j'ai perçu plaintif en sa mélancolie

L'écoulement muet de vos pleurs nostalgiques.


Alors je suis venu simplement dans la nuit

M'agenouiller très humble aux pieds de vos douleurs

Et vous aimer, mes soeurs, toutes, selon mon coeur,

Puisque c'est sur vos fronts que mon soleil a lui.


Mon amour a franchi l'amas des siècles morts

Pour soulever les plis sanglants de vos suaires,

Et pour ressusciter les sanglots légendaires

Qu'aux soirs exténués le vent redit encor.


Je ne puis pas aller aux mousses de vos sentes,

Consoler tous vos coeurs, vos pauvres coeurs si frêles

Que leurs soupirs, en s'exhalant, font le bruit d'ailes

D'un zéphyr printanier sur des roses mourantes.


Mais je me ferai pâle et plus triste et plus mièvre

Pour revivre avec vous le fil des jours déclos,

Et vous frissonnerez entendant des sanglots

Identiques à ceux qui mouraient sur vos lèvres.


Les parfums du jardin s'atténuent : voici l'heure ;

Je chanterai les jours de vos mortels exils :

Ah ! quelque chose brille au bord de vos longs cils,

Est-ce un premier sourire, est-ce le dernier pleur ?





Avant l'Aurore

L'Herbe d'Avril (1908)


Sous les doigts imposés de l'ombre sibylline

L'incantation lourde et mystique des roses

Fait monter comme un pleur de rêve aux yeux des choses,

Et pleuvoir en parfums l'été sur les collines.


Le firmament est clair où la lune décline ;

Sur les coteaux ombreux des airs calmes éclosent :

Le solfège ingénu que les grillons composent

Charme le vaporeux silence des ravines.


Le front bleu du matin va resurgir des crêtes

Et les vieux monts velus que son sourire dore

Respirent le bonheur de la campagne en fête ;


Sur les lèvres des fleurs court un frisson rosé

Et le chant purpurin des pinsons va poser

Sa dentelle éclatante aux jupes de l'aurore.



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Culte intérieur

L'Herbe d'Avril, 1908


Lorsque tu m'es lointaine et vague et nuancée

Par le rêve secret dont se targua plus d'une,

Et que ton souvenir levant comme une lune

Argente doucement les eaux de ma pensée,


J'aime à me replier lentement sur moi-même,

Explorer les recoins intimes de mon coeur

Aux reflets bien aimés des fragiles lueurs

Dont ton amour égaie mes remembrances blêmes.


Je vais comme un artiste amoureux d'imprévu,

Soucieux de surprendre aux voûtes de son âme

Le vieux secret brillant en syllabes de flammes

Des paradis rêvés et qu'il croyait perdus.


J'épie jalousement la crypte vierge encor

Où nulle ne grava son nom, pour t'y bâtir,

Sous l'égide de fer des plus secrets désirs,

Un pavillon de rêve avec des rythmes d'or.


J'ai gravé dans mon coeur en syllabes hautaines

A vif, en plein amour ton nom pour que mon sang

Sur ce vélin soyeux qu'il imbibe, passant,

Emporte un peu de toi jusqu'au fond de mes veines.


J'érige tes traits chers sur le socle divin

Des poèmes vécus et des rêves futurs,

Où mes désirs puissants arquant mes muscles durs

Te sacrent un autel du geste de mes mains.


Près de Toi, ma pensée, rompant les vieux liens

Qui nouaient sa faiblesse aux regrets les plus chers,

Monte vers la splendeur intime de ta chair

Demander humblement l'amour quotidien.


Et le bonheur jaillit en gerbes de ma fièvre

Lorsque des vers frappés au coin dur de l'espoir

Me laissent présumer que tu mettras au soir

Par ton baiser un peu de soleil sur mes lèvres.



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Idéal

L'Herbe d'Avril, 1908


Vers l'idéal, où le travail ainsi qu'un glaive

Fraye à notre ferveur des sentiers méconnus,

Nous allons, et l'orgueil des vieux temps revenu

D'un héroïque espoir a fouetté notre sève.


Nous voulons arriver devant l'aigle du rêve

Sur le roc soleillé, farouches, pauvres, nus,

Et saluer debout la Beauté qui se lève

Du tragique sillon de nos grands fronts chenus.


Nos pieds seront meurtris, nos coeurs battront plus vite,

Plus d'un sera tombé en travers de la route

Pour avoir rejeté la dégradante invite ;


Et tous, peut-être, en proie au souvenir qui noue

Le laurier du triomphe au myrte des déroutes

Auront du sang aux mains, mais n'auront pas de boue.



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Au-delà

L'Herbe d'Avril, 1908


Pour sortir de l'énigme éparse de soi-même,

Dont les aspects nouveaux à chaque joie verdissent,

Pour échapper à ce voluptueux supplice

De se chanter toujours les vieux refrains qu'on aime.


Afin d'atténuer la grave obsession

De repeindre aux couleurs changeantes du moment

La nuance d'un même intime sentiment

Qui confina le coeur aux mêmes passions,


Certain soir, par la porte entr'ouverte d'un songe,

S'évader sur l'alcool, l'amour ou le poison,

Pour confronter enfin, hors des froides raisons,

Des mensonges nouveaux aux anciens mensonges.


Oui, partir, seul, laissant au fond de son cerveau,

Compagnons dont les coeurs inquiets sont blasés,

L'habitude, l'instinct, les règles, les pensers

Qui vêtent d'un carcan de maximes le Beau ;


Libre, dégringoler l'Etrange, à l'aventure,

Repoussant même aux bras du sort qui nous l'allie

Cette captivante amoureuse, la Folie

Qui nous offrait ses yeux comme une bonne armure ;


Voir dans des ciels de sang de grands soleils noircis

Epancher des rayons d'odeurs et de musiques

Sur des coteaux velus de fleurs mélancoliques

Et s'enivrer d'abord, puis s'ennuyer aussi,


Afin de revenir dépouillé de l'envie,

Sur l'aile morfondue des anciens programmes,

Aux paysages gris de l'instinct et de l'âme,

Et savourer les joies de leur monotonie.



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Réveil

Sonnet initialement publié dans la revue Hélios numéro 2 (nouvelle série) de décembre 1908


Lorsque mon coeur en deuil évente sa tristesse

Du sourd bourdonnement d'ombres des soirs déserts,

Et que l'ennui, comme un félin que la faim presse,

Rampe sinistrement vers ses porches ouverts,


Ma volonté, lionne implacable se lève,

Cambrant les reins puissants de son corps ramassé

Et lorsque ses chacals glapissent vers mon rêve

Rugit au seuil flétri de mon espoir blessé.


Alors, à ce tragique et sauvage réveil,

Tous mes sens ont brandi leurs lances de soleil

Vers les havres d'azur des chimères prochaines,


Tandis qu'en mon cerveau, lourd, bardé d'énergie,

Sûr du sang généreux qui bouillonne en mes veines,

J'ouvre sur la Beauté les portes de ma vie.

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