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"Le Crépuscule des fleurs", par Adolphe Retté

Photo du rédacteur: Irène de PalacioIrène de Palacio

Edmond Dulac (1882-1953)


Le Crépuscule des fleurs

Adolphe Retté, Thulé des brumes, 1891


Toute la flore — comme une qui va mourir en plein soleil implacable de midi — du bouton d'or aux plus extravagantes orchidées. Nul être humain, nul animal : le globe est couvert de fleurs — moi, rêveur solitaire au milieu.

Je fais un geste : tout s'assombrit ; le soleil se détache du ciel, dégringole et s'enfuit, étoile filante de moins en moins visible. Il stagne un jour lie-de-vin ; les fleurs se teignent de nuances sombrement violettes. — J'essaie de cueillir un bouquet : chaque corolle perd sa tige, se désagrège, tombe en fine poudre...

Je ferme les yeux : un jour verdâtre filtre ; les fleurs pâlissent, pâlissent ; les voici blanches, aux tons de cire, cadavéreuses. Des ailes sans corps s'ouvrent et se ferment — silencieusement...

Je rouvre les yeux : des cyclones géants, grondants, circulent, fauchent les fleurs, les emportent en une valse furibonde. Les cyclones se groupent en un qui vient à moi et me balaie. Je tourne, je tourne d'une vitesse folle : les molécules de mon corps qui se disjoignent et se muent en pâles pétales pulvérisés...

Puis une sphère de fleurs — blanches, si glacées, sans parfums — gravite — et moi, solitaire — par-delà les planètes, vers la voie lactée, serpent qui se mord la queue ; elle nous cerne de neuf cercles concentriques et tourne elle-même, en sens inverse de notre mouvement, si rapidement qu'elle semble immobile. L'espace et le temps sont abolis : froid pérennel, blancheur virante ; moi, incorporelle entité...


Tout s'arrête ; je retombe — je reviens de millions de lieues...

Trois heures du matin sonnent ; les meubles craquent bizarrement ; la glace reflète un bouquet de chrysanthèmes qui se fane, épars sur le marbre de la cheminée.

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