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"La Loterie de Jupiter", par A.H. de La Motte (1672-1731)



Antoine Houdar de La Motte

Fables

1719



La loterie de Jupiter



Le bon Jupin voulant gratifier

La race humaine sa servante,

Par Mercure fit publier

Une ample loterie, en tous biens abondante.

Tout billet était noir ; chacun devait gagner,

Point de sixième à prendre sur l’Espèce.


Les premiers lots étaient les plaisirs, la richesse,

Les honneurs, le droit de régner.

Le gros lot était la sagesse.

Le plus grand nombre, et les moins bien traités,

De l’espérance au moins devaient être dotés.

Quant au prix des billets, c’était des sacrifices ;

Les autels étaient les bureaux.


Jupiter reçut tout, chèvres, moutons, génisses,

Pigeons, jusques à des gâteaux,

Et moins encor, car le dieu favorable,

Aimant les hommes comme siens,

Ne voulut pas que le plus misérable

Demeurât exclus de ses biens.


J’oubliais qu’il voulut permettre

À quelques-uns des dieux d’y mettre.

Bientôt la loterie est pleine ; il faut tirer.

Tous les billets sont jetés dans une urne,

Brouillés et rebrouillés. Puis, le fils de Saturne,

C’est donc au sort à se montrer,

Dit-il ; je veux que ce soit lui qui tire ;

Aveugle il est hors de soupçon.

Le sort tire en effet.

Mercure a soin d’écrire

À chaque fois et le lot et le nom.


De l’urne à millions sortent les espérances ;

C’était toujours cela. Puis de meilleures chances

Faisaient paraître quelquefois

Des amans fortunés, des riches, et des rois.

Le gros lot vient enfin : on nomme la sagesse.

Pour qui ? Numéro tant, et Minerve pour nom.

Soudain entre les dieux fanfares, allégresse ;

Chez l’homme au contraire tristesse,

Murmure, injurieux soupçon.


Que voilà bien un trait de père de famille !

Dit tout le genre humain fâché.

Jupiter fait tomber le gros lot à sa fille !

Bon, cela saute aux yeux, Jupiter a triché.

Pour punir et calmer cette insolence impie,

Quel moyen croyez-vous que Jupin inventa ?

Au lieu de la sagesse, il donna la folie

À l’homme qui s’en contenta.

On ne se plaignit plus, et depuis ce partage

Le plus fou se crut le plus sage.



Livre I, fable 14

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