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Jean Fontaine-Vive, sous le signe de la précocité : une analyse de Fleurs Printanières (1919)

Dernière mise à jour : 25 mai

« J’étais trop jeune encor lorsque ce fut mon tour »

Jean Fontaine-Vive, Fleurs Printanières (1919), « Les canéphores », mai 1911


« Et, quand vous sentirez que l'heure est enfin proche Où vous devrez partir pour le grand au-delà, Partez sereinement sans peur et sans reproche, Sans détourner vos yeux que la mort voilera. »

Jean Fontaine-Vive, Fleurs Printanières (1919), « Poèmes des morts », juin 1913




Tous les soldats tombés en 14-18 méritent un hommage ému... Tous les écrivains parmi ces hommes méritent d’être lus, pour la seule gloire d’avoir trouvé dans l’écriture un exutoire à l’horreur. Et, parmi eux, tous les poètes méritent notre considération, quelle que soit la valeur intrinsèque de leur poésie – qui peut avoir la vaniteuse audace de prétendre à un jugement de valeur ? –, pour avoir cherché à faire œuvre de beauté, à faire pénétrer dans le cadre restreint du poème un univers symbolique et émotionnel.

Mais parmi ces valeureux soldats de la plume, il arrive que quelques-uns nous touchent plus particulièrement ; pour des raisons très variées, d’ailleurs, et dont on revendique la subjectivité. Tel poète brillera par l’originalité des images choisies ou par la vigueur de sa syntaxe, tel autre par sa maturité d’esprit, son histoire personnelle, ou encore son destin singulier. C’est le propre d’Anthologia, et plus généralement de cet esprit de florilège qui en fait sa caractéristique, que de chercher à mettre en valeur, à parts égales, les parcours biographiques et les corpus littéraires des « grands oubliés ». Et parmi ces émouvantes figures, figées dans leur jeunesse par les crimes de la Grande Guerre, Jean Fontaine-Vive (1895-1917) occupe une place de choix.

Si l’œuvre de Jean Fontaine-Vive nous parvient encore aujourd'hui, c'est grâce aux efforts multipliés par ses proches, après son décès, pour publier deux recueils de ses textes : Jeunesse Ardente (Crès, 1917) et Fleurs Printanières (Étampes, Imprimerie Terrier Frères et Cie, 1919), ce dernier composé non seulement de poèmes mais aussi d’extraits de lettres, reçues par ses parents et par leur jeune fils, frère du poète. La piété familiale était à double sens dans cette famille réellement modèle : hommage filial, hommage parental, qui se lit jusque dans les dédicaces que laisse le père, inconsolable de la mort de son aîné. Jean faisait la fierté de son père, Eugène Fontaine, modeste commis des postes et télégraphes. Plusieurs exemplaires de Fleurs Printanières avec envois circulent sur Internet, tel celui que possède la bibliothèque de la ville de Lyon :





ou encore celui-ci, dont l'envoi date de 1920 :


"A nos bons amis

Madame et Monsieur Thibaud

En mémoire de notre cher fils.

I. Fontaine-Vive, E. Fontaine-Vive

Janvier 1920"


"A mon cher ami Pierrot (?) en souvenir de mon frère aîné mort pour la Patrie.

Témoignage de grande amitié."

Charles Fontaine-Vive

Collection personnelle - Irène de Palacio



Né à Annecy le 5 janvier 1895, Jean Fontaine-Vive fit des études de Lettres et de Droit à Lyon. Licencié ès-lettres en 1913, il envisageait la poursuite de ses études quand la guerre éclata. Les trois années qui suivirent le retrouvèrent en ces lieux dont les noms font frémir ; Verdun, puis le Chemin des Dames, où il trouva la mort le 2 août 1917. Son courage, dont il donna tant de preuves, lui valut, et dès 1915, quatre citations faisant toutes l’éloge de sa « rare sagacité et de son sang-froid merveilleux » (1916), de son audace, de sa bravoure et de son ardeur. C’est en voulant venger la mort de son capitaine que Jean Fontaine-Vive, et sans doute plusieurs hommes de la compagnie dont il avait pris le commandement, trouva la mort. Le dernier rapport qu’il envoya au commandant de son bataillon, quelques minutes avant sa fin, donne une idée de ce jusqu’au-boutisme : « J’ai fait envoyer une patrouille pour rejoindre les 2e et 3e sections : elles les joindront coûte que coûte ; j’en prendrai la tête si nécessaire. Dans le coin que j’occupe nous continuerons à tenir jusqu’au bout, nous avons le capitaine à venger. » Cet héroïsme trouve sa source dans un idéalisme exalté ; avant la guerre, Fontaine-Vive avait mis cet enthousiasme au service de nobles causes sociales, sentimentales et littéraires. Son sens moral, et sa droiture intellectuelle et humaine, se manifestèrent dans certains choix austères pour un si jeune homme : un projet de thèse sur les origines de la Réformation en Savoie, un refus d’épouser pendant la guerre sa jeune fiancée, Olga Stahl, pour ne pas en faire une veuve dévastée, ou encore, dans les lettres envoyées du front à son frère cadet alors âgé de douze ans, de (tendres) exhortations à une conduite exemplaire...

Né sous le signe de la précocité, Fontaine-Vive composa tôt de bons vers, combattit tôt, mourut tôt ; et cette sorte de hâte se ressent dans son exaltation guerrière comme dans sa maîtrise surprenante, dès son adolescence, de l’art poétique. C’est aussi cette maturité précoce qui lui dicte les conseils pleins de sagesse abondant dans sa correspondance. Ou encore le pressentiment insistant de sa mort prématurée.

Deux volumes nous ont transmis l’œuvre, forcément inaboutie, de ce poète mort à vingt-deux ans. Le premier, Jeunesse Ardente, contient les vers écrits pendant la guerre. Nous rendrons compte, ici, du second recueil, Fleurs printanières, contenant les textes sélectionnés par les parents du jeune disparu. Des vers des temps heureux, précédant la guerre, qu’Eugène et Rose-Ida Fontaine-Vive voulurent recueillir et publier deux ans après la mort de leur fils, pour préserver sa mémoire... Ce recueil témoigne à bien des égards de la précocité intellectuelle de Jean Fontaine-Vive. Dès février 1910, il compose des poèmes de forme variée, s’inspirant, sans jamais les copier, des images et des rythmes romantiques et parnassiens.


Comme en un vase pur des gemmes précieuses,

Recueillez mes os blancs dans vos si blanches mains,

Canéphores de rêve, âmes mystérieuses,

Vous qui glissez le soir aux célestes chemins.


Canéphores de rêve, âmes mystérieuses,

Qui répétez tout bas de longs chants onduleux,

Bercez-moi doucement de vos voix anxieuses,

Pour mon dernier regard que les cieux soient plus bleus.


Bercez-moi doucement de vos voix anxieuses,

Puis brûlez mon coeur jeune aux flammes du santal,

Pour que le parfum lent des heures douloureuses

S'allie aux voluptés du monde oriental.


Pour que le parfum lent des heures douloureuses

S'évanouisse au ciel avec mon souvenir,

Dénouez vos cheveux sur vos mains très pieuses,

Comme un lourd linceul noir où je puisse dormir.


Dénouez vos cheveux sur vos mains très pieuses,

Pour laisser à mon âme une senteur d'amour,

Canéphores de rêve, âmes mystérieuses,

J'étais trop jeune encor lorsque ce fut mon tour.


(« Les canéphores », mai 1911)



Le poète de seize ans exprime une mélancolie qui n’a rien d’artificiel, et qui s’accompagne d’une obsession de la mort, de la mort précoce, notamment. Celle d’autrui ou la sienne... On est ainsi frappé de l’aspect prémonitoire de plusieurs pièces composées en 1911 ou 1912, telle la « Marche à l’aurore », évoquant sa mort au combat :


Quand l'heure sonnera des alarmes suprêmes

Et que viendra mon tour de partir au combat,

Je me redresserai le front haut, quand bien même

Nulle voix en pleurant ne m'encouragera ;

Drapé dans mon orgueil douloureux, tête haute,

Puisque je ne verrai personne à mes côtés,

Je suivrai le chemin où ne sourit nul hôte

Et je traverserai les grands bois désertés ;

Et, mon regard toujours fixé vers la lumière,

Je sentirai sans peur se brûler ma paupière

Au vrai soleil qui doit surgir ;

Car je verrai là-bas dans la plaine encor sombre

Passer en se courbant les fantastiques ombres

De ceux qui vont semer le grain de l'avenir ;

Et, sans repos marchant sous les voûtes sans bornes,

Eternel chemineau, j'irai contre le vent,

Sans qu'à l'heure où les cieux sont plus lourds et plus mornes

Un seul parfum d'amour me guide plus avant.


Puis un soir, harassé d'avoir porté sans trêve,

Comme un fardeau trop lourd, mon impossible rêve,

Je resterai debout, face au jour qui viendra.

Et, quand sur les monts bleus s'annoncera l'aurore,

Heureux de voir le jour luire une fois encore

Pour ceux qui reprendront sans peur le bon combat,

Debout, comme un soldat qui monte sentinelle,

Le coeur illuminé de l'aurore nouvelle,

Mon devoir accompli, je mourrai seul, tout seul,

Et nulle pour mon corps ne coudra de linceul.


(« Marche à l'aurore », août 1912)



Les choix de versification se révèlent déjà originaux, refusant les effets faciles et les thèmes convenus. En septembre 1911, le rythme enlevé de l’octosyllabe accompagne étonnamment une « complainte »...


Nous étions trois, nous sommes deux

La mort l'a heurté de son aile,

Et dans la terre maternelle

S'anéantit son corps hideux.


Nous étions deux ; seul je m'en vais :

L'amour s'est glissé dans son âme ;

Il partit sans que je le blâme,

Le dernier ami que j'avais.

(...)


(« Complainte »)



La vie entre constamment en dialogue avec la mort, la mort s’alimente aux sources de la vie. Comme dans la prosopopée des morts (« Poème des morts »), où un vivant interpelle les défunts pour en tirer un enseignement (« Avant que l’infini ne vous ait rappelés. / Morts, dites-nous les chants de l’éternelle vie »). En 1911 et 1912, deux complaintes et un « sonnet funéraire », sur sa propre mort, font entendre une mélancolie qui n’a rien de complaisant, mais témoigne d’une véritable sensibilité. Fontaine-Vive sait déjà prendre ses distances à l’égard de ses maîtres et se définir à sa manière propre — qui ne manque pas d’ironie, voire d’auto-dérision. Cet autoportrait en est l’exemple :


Ce que je suis ? Mon Dieu, le sais-je ? Un peu bohême,

Une pointe d'orgueil en un noeud truculent

Qui menace le ciel d'un air... presque... insolent,

Ou lamentablement se replie en soi-même.


Un teint de vermillon qui voudrait être blême,

Un pas désabusé qui n'est que nonchalant ;

Sur de rebelles crins en caprices ondulant

Un large feutre vert profond comme un poème,


Ou comme un pur sonnet, net et définitif

Que Mallarmé ravit à son esprit rétif,

Si profond qu'on pourrait y loger une escadre ;


Et, couronnant le tout, solennel et moqueur,

Un regard où parfois passe un reflet du coeur...


Bref, tableau médiocre, en un passable cadre.


(« Ce que je suis », août 1913)



Le ton est malgré tout plus doux que moqueur, et le jeune poète ne recule pas devant le plaisir d’emprunter au Symbolisme révolu certains de ses thèmes favoris, en particulier celui du nocturne. Les variations autour de ce motif sont nombreuses dans Fleurs printanières (« Nocturne douloureux », « Nocturne au bord des eaux », « Nocturne crépusculaire », « Nocturne au clair de lune »...). La jeune âme de dix-sept ans, éprise de symbolisme, rêve elle aussi à la lune, se place aussi du côté des marginaux, poètes et fous attirés par la fascination de la nuit, fait elle aussi rimer « taciturnes » et « nocturnes », mais sait trouver des expressions originales (« c’est le regard des nuits mélancoliques, / Fait de tous les regards des grands inconsolés ») au sein d’un vers maîtrisé :


Rythmant sur leurs accords ses rêves taciturnes,

Mon coeur au soir défunt se lamente sans bruit,

Mais, au-dessus des monts d'où l'ombre a déjà fui,

Comme un blanc nénuphar sur les étangs nocturnes,

La lune indolemment s'élève dans la nuit.


Vois-tu, c'est le regard des nuits mélancoliques,

Fait de tous les regards des grands inconsolés,

Et c'est ce qui la rend si pâle et nostalgique,

Si douce pour les coeurs que rien n'a rappelés.

Tous ceux qui sont partis du côté de l'aurore

Et que le jour cruel écrase de ses feux,

Les poètes, les fous qui veulent croire encore

Quand croulent de partout les temples de leurs dieux,

Viennent un soir chercher en ce regard immense

L'immense apaisement de leur sourde souffrance

Et rêver à la lune un jour plus glorieux.


(« Nocturne au clair de lune »)



L’inventivité du poète se manifeste ainsi dans plusieurs poèmes, en particulier les échanges, en vers, entre le mime noir, le mime bleu et le mime blanc de la « nocturne pastorale » :


Le Mime blanc.


C'est l'aube —


Le Mime noir.


C'est la nuit —


Le Mime bleu.


C'est l'étoile qui brille,

C'est le doux rossignol lançant au ciel son trille,

C'est la lune ondulant ses bleus rayons d'amour...


Le Mime blanc.


C'est le mystique éveil avec celui du jour —


Le Mime noir.


C'est la nuit triomphale et cruelle et rapace —


Le Mime bleu.


C'est le chant radieux de l'oiseau bleu qui passe (...)



A cette première partie du recueil, qui s’achève avec un chant d’amour pour les paysages de Savoie (« Mes pics ardus et noirs aux flancs drapés d’hermine »), les parents de Jean Fontaine-Vive ont ajouté un complément à Jeunesse Ardente, d’autres poèmes écrits pendant la guerre, qui se caractérisent par l’évocation nostalgique du foyer familial, la douceur des paroles écrites adressés aux parents (« mes Bien-Aimés », comme il les nomme régulièrement), et la rigueur bienveillante des conseils prodigués au jeune frère Charles (« Quelques vers à mon cadet pour ses treize ans »), dont les  deux quatrains suivants, encore prémonitoires d’ailleurs, donnent une idée :


Adieu, Petit. La guerre a d'étranges retours :

Tel qui rêve aujourd'hui d'une superbe vie

Par l'obus implacable aura l'âme ravie ;

La mort flotte déjà peut-être à son entour.


Pour moi, je te demande une dernière grâce :

Demain d'autres combats réclameront nos jours ;

Ah ! puissé-je te voir, plein d'ardeur et d'amour,

Me suivre si je vis, ou mort, prendre ma place !


La Fontenelle, Juin 1916.



Mais ce sont peut-être les extraits de lettres, placés au terme du recueil, qui esquissent le meilleur portrait du jeune homme. Sa mélancolie innée s’y dispute à l’exaltation guerrière, la résignation devant la mort est contrariée par de brusques sursauts d’énergie, et, toujours, se dispense la même tendresse pour ses parents, son frère et sa bien-aimée... Le poète de vingt ans se révèle être aussi un remarquable épistolier.


5 juillet 1915


Il fait nuit noire ; à la lueur de ma bougie, je vous écris, je me serre près de vous avec tendresse, mes bien-aimés. D'autres hommes veillent aussi qui, comme moi, laissent leur pensée mélancolique s'appuyer sans bruit aux fenêtres de la maison lointaine où l'on se languit d'eux. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi de telles tristesses ? Quels pleurs ne doivent point strier les joues pâles de notre ami céleste !

Eux n'ont pas, comme moi, l'efficace consolation de veiller dans la nuit sur l'aurore prochaine ; soldats de l'ombre et de la mort, ils veillent dans l'ombre et montent la garde sinistre de la mort ; pour nous, l'aube demain hâtera l'aube éternelle de la victoire et de la paix ; et ceux mêmes qui dans l'immense sillon des tranchées tomberont dans cette nuit, s'éveilleront dans l'aube de l'éternelle vie.

Nous sommes les soldats de la paix, non de celle que donne une lâche béatitude, mais de celle qui s'établira sur les ruines des facteurs de mort, sur l'horreur des heures présentes, sur une commune détestation de la tyrannie qui a pu déchaîner cette guerre, sur un élan d'amour de ceux qu'aura rapprochés le danger couru ensemble, bravé en commun, écrasé de concert.

C'est ici vraiment que l'amour naît de la mort... Ici le corps est si peu de chose, pauvre assemblage que détruit un morceau de fonte, que l'âme se délie comme d'elle-même, et je vis des instants encore trop courts, hélas ! d'ineffable communion avec Dieu.

(...)



Les parents de Jean Fontaine-Vive ont placé en conclusion des Fleurs printanières quelques poèmes retrouvés, poèmes des quinze ans de leur fils prodige et prodigue. Ces onze poèmes confirment tous l’impression d’avoir affaire à un grand poète ; et c’est peut-être sur « L’hymne à la vie » de cette fin de recueil, composé en décembre 1914, qu’il convient de refermer, provisoirement, cet album mémoriel.


Que tu vives ou non le règne de ta cause,

Que tu saches ou non si les métamorphoses

Ont dépouillé le sort de ses iniquités,

Lutte, puisque tu sais que c'est l'ordre des choses ;

Lutte, puisque le nombre est infime qui ose

Ne pas courber le front sous la fatalité.


Espère, lutte et crois : les matins seront proches ;

Garde vierge ton corps et tes mains sans reproches (...).

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