Henri-Charles Read, chercheur d'idéal
"Il possède les premiers secrets de cet art infini qui consiste à donner aux mots leur valeur par la place qu'ils occupent, art de tout point comparable à celui du peintre qui crée la couleur par le contraste savant des voisinages."
Paul Haag, préface aux Poésies posthumes 1874-1876 d'Henri-Charles Read.
"A chercher l'idéal j'ai consumé ma vie."
Henri-Charles Read, "Idéal" in Poésies posthumes 1874-1876, Alphonse Lemerre, 1879.
Nikolaos Gyzis
The Spirit of sorrow
Henri-Charles Read (1857-1876), emporté par la mort à seulement dix-neuf ans, fut bien ce « nouvel Hégésippe Moreau » que saluait avec enthousiasme Théodore de Banville. Malgré une vie écourtée, il laissa une œuvre poétique considérable et de belle facture, publiée trois ans après sa mort en 1879 sous le titre Poésies posthumes 1874-1876. Poète aujourd'hui oublié, la postérité se souvient davantage de sa sœur, Louise Read, femme de lettres reconnue, proche de Barbey d'Aurevilly — qui la surnommait affectueusement « Mademoiselle ma gloire » —, ainsi que du poète François Coppée, dont elle fréquentait le salon. (Leur père, Charles Read, fut quant à lui le fondateur de la revue d’art, d’histoire et de littérature L'Intermédiaire des chercheurs et curieux.) De Henri-Charles restent ces vers, sensibles et tourmentés, dont nous publions ci-dessous quelques exemples. L'unique recueil, Poésies posthumes, déploie un univers délicat et mélancolique, où spleen baudelairien et aspirations romantiques s’entrelacent dans une expression poétique d’une grande finesse.
"Pauvre cher enfant disparu ! Il me semble que je le vois, que je l'entends encore, que je sens encore sa main dans la mienne ! Mais bientôt d'ailleurs nous irons tous le rejoindre. Quelques mois, quelques années ! Qu'est cela ! Et dans la grave paix du tombeau nos yeux s'ouvriront sans doute à quelque lumière nouvelle, et nous saurons alors pourquoi les enfants meurent avant d'avoir vécu, et pourquoi les fleurs se fanent avant de fleurir."
Paul Haag, préface aux Poésies posthumes d'Henri-Charles Read.
Celui qui fit ces vers est mort à dix-neuf ans.
— Tel l'amandier précoce, au début du printemps,
Meurt pour une neige qui tombe. —
Il ne reste de lui que ce bouquet glané,
Et, d'une main pieuse, ainsi qu'un frère aîné,
Je viens le poser sur sa tombe.
François Coppée, "A la mémoire de Henri-Charles Read".
Poème publié en exergue des Poésies posthumes d'Henri-Charles Read.
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Poèmes choisis
Au cimetière
Déjà l'automne arrive avec ses sombres jours,
Ses heures de tristesse, et ses feuilles jaunies ;
Elle est bien loin, déjà, la saison des amours :
Ses charmes sont éteints et ses grâces ternies.
Un vent sec et froid pleure à travers les tombeaux ; Le soleil est voilé par une brume grise ;
On n'entend que le cri d'angoisse des corbeaux
Et le gémissement sinistre de la bise.
C'est là que je viens seul, par ma douleur guidé ;
Mon âme désolée y trouve bien des charmes :
Le sol triste et fangeux paraît avoir gardé
L'empreinte, humide encor, de ce fleuve de larmes,
De regrets douloureux et d'éternels remords,
Qu'ont versé les vivants sur la cité des morts.
Sélénisme
Une nuit, malheureux amant, la mort au coeur,
Je marchais triste et seul sur le bord de la dune,
Quand je vis, réjouie et blafarde, la Lune,
Qui me narguait d'un air ricanant et vainqueur.
Rayonnante au milieu des étoiles en choeur,
Rieuse, elle planait sur l'immensité brune,
Et, projetant sur moi sa lueur importune,
Elle me contemplait de son grand oeil moqueur.
Sur les rampes du ciel mollement accoudée,
Comme une veuve, belle encor, quoique fardée,
D'un air si provocant, d'un oeil si langoureux,
Elle me regardait, la jaune enchanteresse,
Que j'en suis devenu follement amoureux.
Depuis ce temps, la Lune est ma seule maîtresse.
Idéal
A chercher l'idéal j'ai consumé ma vie ;
Au lieu du droit chemin, j'ai pris mille détours ;
Déjà je suis sans force, et mon âme amollie
Ne se raffermira qu'aux célestes séjours.
Des passions j'ai bu le vin jusqu'à la lie ;
Et pourtant j'ai vu fuir la saison des amours
Sans atteindre jamais l'image poursuivie,
Et marchant vers un but qui me fuyait toujours.
Je n'ai jamais connu de l'existence humaine
Que le mal, les tourments, la douleur et la haine,
Et je vis presque mort au milieu des vivants.
Ainsi, triste, inquiet, sans espoir, solitaire,
Et toujours incompris, j'ai passé sur la terre
En cherchant l'idéal, et j'ai perdu mon temps !
Amour d'outre-tombe
Quand au froid tombeau je serai couché,
Quand je dormirai sous la froide terre,
Je ne pourrai pas, triste et solitaire,
De toi bien longtemps rester détaché !
Par mes pleurs bientôt Dieu sera touché :
Sur son ordre un ange, au blanc cimetière,
Viendra te porter sous la sombre pierre,
Où reposera mon corps desséché.
Là, seuls et joyeux, nous vivrons ensemble :
Dans un doux mystère, à l'ombre du tremble,
L'amour à jamais nous réunira ;
Nous vivrons heureux, morts pour tout le monde,
Sans peur des vivants, et le ver immonde
Dans notre bonheur nous respectera !
Le Sonnet
A ma soeur
Respectez-la toujours, cette forme que j'aime,
Cette forme divine et pure qu'Apollon
Autrefois inventa dans le sacré vallon,
Et qu'il fit resplendir d'une beauté suprême !
Sur ton front gracieux posons le diadème ;
O Sonnet, toi qui n'es ni trop court, ni trop long,
Qui tantôt es Zéphyr et tantôt Aquilon,
Quel que tu sois, tu vaux toujours mieux qu'un poème.
Que de méchants auteurs t'ont péniblement fait,
Qui sans repos longtemps ont torturé leur tête,
Pour mettre un avorton au jour, non un Sonnet !
La source vive sort, et, sans que rien l'arrête,
Des fentes du rocher s'élance d'un seul jet :
Ainsi tu dois jaillir de l'âme du poète !
Nox Alma
L'heure des baisers, tendre et salutaire,
L'heure de l'amour enfin a sonné ;
Sur son char obscur, d'étoiles orné,
Lentement la Nuit descend sur la terre.
C'est l'instant charmant et plein de mystère,
Où, de mille feux brillants sillonné,
Le ciel peu à peu s'est illuminé ;
C'est l'heure où l'amant rêve solitaire.
Tout parle d'amour : on sent voltiger,
Doux et caressant, un zéphyr léger ;
La Lune paraît, et sa flamme pâle,
Projetant sur nous son reflet aimé,
Répand dans la nuit sa clarté d'opale ;
Et de frais parfums l'air est embaumé.
Sonnet
Je suis bien jeune encore, et la tombe m'attire.
Est-ce douleur d'amour, désir de nouveauté ?
Non. Fatigué de tout, mon pauvre coeur soupire
Après la froide terre et la tranquillité.
Abreuvé d'amertume et de dégoût, j'aspire
A l'instant bienheureux, à l'instant souhaité,
Où j'irai, voyageur joyeux, au vaste empire
De la Mort, ma terrible et douce déité.
Comme, au lit nuptial, la nouvelle épousée,
Ardente de tendresse et d'amour épuisée,
Sourit à son époux et le trouve plus beau,
Ainsi je sourirai, quand, étendu près d'elle,
Calme, je dormirai le sommeil du tombeau,
Dans les bras de la Mort, ma compagne éternelle.