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Photo du rédacteurIrène de Palacio

Henri Alloend-Bessand : dire la nostalgie de la guerre


"Parmi les tombeaux neufs, à l’ombre des cyprès, par les chers souvenirs du bonheur ralenties, les veuves, sous le voile aux plis secs et discrets, dans l’ombre des cyprès, s’en vont l’âme flétrie."

"Parmi les tombes"

Henri Alloend-Bessand, Poèmes de guerre et non Poèmes guerriers, 1918



Henri Alloend-Bessand



Mobilisé en août 1914, à trente-huit ans, Henri Alloend-Bessand (1876-1955) publia en 1918, chez Crès, un recueil poétique intitulé Poèmes de Guerre et non Poèmes guerriers, où la nostalgie du passé et de l'avant-guerre coexiste avec la consignation des événements de la vie des tranchées.

Les poèmes sont datés et suivent un ordre chronologique auquel leur auteur semble tenir ; c’est ainsi qu’Henri Alloend-Bessand maintient en ouverture un poème revanchard de 1912, dont il admet l’inachèvement et la maladresse, mais qui s’inscrit dans la continuité des poèmes de guerre, puisqu’il la préfigure. Les vers de Poèmes de guerre et non Poèmes guerriers n’ont d’autre prétention que de fixer une heure, un moment, un sentiment d’amitié pendant le conflit, tel "Après une heure d’intime causerie", daté "Montgobert, avril 1916" et dédié "Au Capitaine Thomasson", dont voici un extrait :


Les fantômes aimés de celles qui sont chères

en le regard perdu de nos yeux demi-clos

passaient, et notre oreille au loin guettait l'écho

de voix que ranimait une vie éphémère. —



ou encore "A Reims", dédié à l’acteur Jean d'Yd (1880-1964), qui récita jadis le poème, et dont le talent fut salué par Alloend-Bessand.

Une autre fois, blessé par un éclat d’obus, le poète en profite pour composer un poème à l’hôpital de Rouen saisissant l’impression passagère mais obsédante d'un "Jour de neige", ouaté et mélancolique :


La terre est triste sous la neige ;

le ciel est gris et sans clarté :

mon coeur est sombre, et rien n'allège

la peine dont il est hanté.


Les flocons blancs tombent sans fin,

volant au vent devant ma vitre

serrés et froids, sinistre essaim

passant sans un frisson d'élytre.


(...)



Le regret du passé constitue, plus généralement, le thème principal de l’œuvre, et s’exprime en vers d’une facture classique mais non dépourvus de variété. Les tercets mélancoliques du poème sans titre "Le bonheur méconnu des heures monotones", aboutissant à un vers détaché ("Un rêve tout cela ?"), et sont représentatifs de la tonalité d’ensemble du recueil :


Le bonheur méconnu des heures monotones,

quand l'instant qui s'en vient, semblable au précédent

passe, banal un peu, mais sans rien qui détonne ; —



Çà et là, l’argot des tranchées actualise les scènes décrites, et restitue un peu de la familiarité des soldats ; c’est le cas du "Sonnet" sous-titré "Charbonné sur la porte de ma cagnat" et daté "Ravin de Soucy, mai 1916", qui dépeint un repas de fortune agrémenté par l'hospitalité chaleureuse de cette "communauté" de camarades de guerre :


Peut-être notre pain te semblera rassis ?

mais l’humeur est joyeuse, et le pinard qu’on sable

s’il ne vient de Bordeaux n’est pourtant méprisable.

(...)



Si la mélancolie et la nostalgie dominent, le poète sait en varier l’expression. En atteste le verlainien "Croquis d’hiver" de 1916 :


Le froid, ... la pluie,

comme les pleurs

lourds de douleurs

d'un ciel de suie...


Sur l'herbe, en plaine,

l'eau en tombant,

met des brillants

qu'un souffle égrène.

Sanglot de brise

en l'arbre mort

qui lutte et tord

ses branches grises.


Là-haut, la nue,

en paquets mous

aux gestes fous,

passe éperdue.


Au ciel de suie,

l'oiseau s'enfuit,

le vent gémit,

mouillé de pluie.



L’évocation des douceurs du passé, méconnues lorsqu’elles n’étaient pas menacées, permet au poète de supporter la souffrance, en transformant la mélancolie en espoir. Ainsi, après le rappel de


La douceur du chez soi, des objets familiers,

que l’on ne comprend bien que quand on l’a perdue ;

(...)


se glisse une note d’espérance, en un poème au titre éloquent : "Si nous nous retrouvons un jour…" :


Oh ! l'heure où disparaît tout bruit avec le jour ;

où l'on ne perçoit plus que l'étrange murmure

d'un coeur aimant que trouble une pensée impure

(...)


 

Après la guerre, Henri Alloend-Bessand s’essaya une nouvelle fois à la poésie, avec le recueil Au hasard des sentiers (Messein, 1926). Comme à l'occasion de la publication de ses Poèmes de Guerre, il ne rencontra pas plus de succès auprès de la critique. Membre de la Société française de photographie, c’est surtout pour son œuvre photographique et les responsabilités qu’il occupa dans ce milieu que son nom survécut — il exposa d'ailleurs ses œuvres lors de divers salons parisiens, et obtint plusieurs récompenses. Il nous importe pourtant que ses vers, et notamment sa poésie de guerre, tendre et nostalgique, demeurent dans les mémoires. Puisse cette courte note saluer, modestement, l'image d'un artiste et d'un "poète-soldat", tristement oublié.



Dans l’ombre des cyprès, noirs sur les tombes neuves,

de leur pas alourdi du fardeau des regrets,

pâles sous le grand voile aux plis raidis, les veuves

s’en vont le cœur éteint, sous l’ombre des cyprès.


Sous les rayons joyeux, oeil sec et tête basse,

elles vont sans penser, sous le soleil de feu,

traînant d’un même effort l’âme et la jambe lasse,

ignorant que l’été naît en rayons joyeux.


La chanson de l’oiseau, chant d’amour et de vie,

qu’il clame à pleine voix, caché sur un rameau,

n’éveille plus d’espoir en leur âme flétrie : 

leur esprit reste sourd aux chansons de l’oiseau.


La fraîcheur de la fleur à peine encore éclose

n’est plus qu’un vain hochet pour elles sans valeur.

Leurs pauvres coeurs fanés ne voient plus dans la rose

que la fragilité de la beauté des fleurs.


Parmi les tombeaux neufs, à l’ombre des cyprès,

par les chers souvenirs du bonheur ralenties,

les veuves, sous le voile aux plis secs et discrets,

dans l’ombre des cyprès, s’en vont l’âme flétrie.

("Parmi les tombes")




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