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Armand Charnay (1844-1915), un peintre entre dilettantisme, grande sensibilité et amour de la nature — Par Patrick Faucheur


Son œuvre restée assez largement hors du marché de l’art et rarement exposée est peu connue, alors qu’elle témoigne d’un talent réel, d’une grande délicatesse et d’un style proche de l’impressionnisme. Conservée pour une large part au musée de Charlieu, ville d’origine du peintre, elle devrait en 2025 faire l’objet d’une exposition réunissant sa peinture avec celle de son ami Firmin-Girard.

Arrière petit-fils du peintre Firmin-Girard, Patrick Faucheur a vécu depuis son enfance au milieu des nombreuses oeuvres du peintre restées dans sa famille. Après des études d’architecture et de sciences politiques, il a notamment eu des responsabilités dans le domaine du patrimoine. Intéressé depuis toujours par la peinture, il a complété ses connaissances en histoire de l’art en suivant les cours de l’Ecole du Louvre sur l’art du XIXème siècle. Après avoir poursuivi des recherches sur l’oeuvre de Firmin-Girard, il a entrepris la préparation d’un catalogue raisonné et d’un ouvrage sur le peintre. Il nous livre ici un nouvel article sur les peintres méconnus gravitant autour de Firmin-Girard.



Portrait d'Armand Charnay par Paul Mathey



Étudiant insoumis et découverte de la peinture de paysage


Originaire de Charlieu dans la Loire, destiné à reprendre l’étude de son père notaire, Armand Charnay manifeste très tôt un attrait pour le dessin. On raconte qu’il caricaturait les clients de l’étude, et que lors d’une vente aux enchères, il ne s’affaira pas aux tâches qu’on lui avait confiées, préférant crayonner le portrait des enchérisseurs. Ayant convaincu ses parents de ses dons artistiques et de son attirance pour la peinture, il rejoint Paris en 1862 pour se former. Sur les conseils de Pierre-Adrien Chabal, dit Chabal-Dussurgey, originaire de Charlieu et professeur à la manufacture des Gobelins, il est envoyé chez un peintre assurant une préparation au concours du Prix de Rome, qu’il quitte au bout de quelques jours. Il intègre en 1865 l’atelier d’Isidore Pils, académicien et peintre d’histoire, puis, peu de temps après, celui de Feyen-Perrin, peintre de genre surtout réputé pour ses eaux-fortes. Sa présence dans ces ateliers fut de courte durée. De caractère indépendant et insoumis, il supporte mal l’enseignement qui lui est prodigué, fondé sur le dessin d’après le modèle vivant et le respect des conventions, et préfère s’en remettre à sa propre sensibilité et ses envies de liberté. On a prétendu que son éducation artistique lui était venue davantage de la fréquentation de ses camarades, et beaucoup de la nature. Il se lie assez tôt à un groupe de jeunes artistes, pour la plupart encore étudiants, et qui complètent leur formation académique en copiant la nature, avec pour références des peintres anciens comme Poussin mais aussi des contemporains tels que Courbet et Daubigny. Barbizon n’est pas loin de Paris, et très vite le groupe s’évade pour peindre sur le motif ces paysages déjà connus des peintres, en donnant libre cours à leur sensibilité, loin des conventions de l’Académie. Des amitiés se nouent, notamment au sein de la bande de Jules Le Cœur qui, l’été, se rend en forêt de Fontainebleau. Armand Charnay se lie particulièrement avec Firmin-Girard et Paul Vayson, attirés comme lui par la peinture de la nature.



Firmin-Girard, Jour de chaleur à Marlotte (1865), où sont notamment représentés Paul Vayson, Armand Charnay et Jules Le Coeur



Débuts prometteurs


Durant ses années d’apprentissage, Armand Charnay aborde plusieurs techniques ; le fusain pour lequel il écrit d’ailleurs un manuel citant les peintres anciens qui lui servent de modèles, Ruysdaël, Constable ou Corot, puis la gravure à l’eau-forte, techniques qui lui permettent d’être exposé au Salon dès 1865, dans la catégorie dessins et gravures. C’est d’ailleurs par ses dessins, ses fusains et ses eaux-fortes publiés dans des journaux qu’il se fait remarquer. Il représente les paysages de sa région natale, traitant les cieux, les arbres et les étangs avec une grande légèreté que lui confère le fusain, et que l’on retrouvera plus tard dans ses peintures.



Armand Charnay, Bords du Sornin (1865), gravure exposée au Salon



Armand Charnay, Paysage avec étang



Fasciné par le spectacle et l’atmosphère de la forêt de Fontainebleau, son caractère encore sauvage, ses chênes séculaires, ses immenses hêtres des environs de la mare aux Fées et ses étangs, il décide de quitter Paris où il ne se rendra plus que rarement, et prend pension à l’auberge de la mère Antony, puis à l’auberge Ganne, lieux de séjour des peintres, et en particulier des futurs impressionnistes. Il se rapproche d’un autre peintre, Charles Delort, résidant à Marlotte en bordure de la forêt, et surtout connu pour ses dessins présents dans de nombreux journaux. C’est le début de son installation dans la région, qui le conduira à faire construire en 1880 une maison à Marlotte, qu’il habitera jusqu’à sa disparition. Il la délaissera cependant de temps en temps pour de nombreux séjours à Charlieu, — lieu auquel il reste très attaché —, ainsi que pour des tournées dans plusieurs régions.

A la fin des années 1860, Armand Charnay rencontre Paul Baudry, académicien, considéré comme l’un des plus célèbres représentants de l’art académique sous le Second Empire, et surtout connu pour son tableau La vague et la perle et ses décors de l’Opéra de Paris. Les deux hommes, pourtant très différents dans leurs aspirations artistiques, s’apprécient. Le maître conseille à celui qui n’est encore qu’un jeune artiste féru de paysage, de poursuivre en peinture et d’introduire des personnages dans ses compositions. C’est le moment pour Armand Charnay de se présenter à la porte du Salon avec une première peinture. Paul Baudry l’encourage dans cette voie, et sur sa recommandation, sa Leçon d’équitation est exposée en bonne place au Salon de 1872.



Armand Charnay, Les vacances



A la suite de ce Salon, Armand Charnay acquiert une nouvelle notoriété et poursuit pendant quelques années sa présence au Salon, avec des œuvres mêlant paysage, scène de genre et peinture animalière. Celles-ci sont une illustration de l’art de vivre de son milieu social, qu’il met en scène dans son contexte de villégiature campagnarde. Comme Paul Baudry le lui avait conseillé, elles sont émaillées de personnages, dames à ombrelles colorées et parées de robes et de chapeaux à la mode, enfants en bottines hautes sous la surveillance de leur gouvernante, et messieurs en redingote s’affairant à leurs occupations dans des décors champêtres tirés de sa région d’origine. Ces tableaux qui montrent les loisirs pratiqués, parties de chasse et de pêche, promenades en forêt, sorties à cheval, sont très appréciés du public. Le succès est là, il reçoit des commandes de collectionneurs français et étrangers, mais il n’y donne pas suite.



Armand Charnay, Jeune femme pêchant



Sa passion pour la nature et sa découverte de Fontainebleau l’amènent à peindre la forêt sans relâche, « avec un amour de véritable forestier pour les coins les moins fréquentés et les moins connus », réalisant de nombreux croquis, ou plantant son chevalet dans un sous-bois pour peindre le paysage qui s’offre à lui.



Armand Charnay, La cueillette des champignons (1873)



Tournées en province avec Firmin-Girard


Personnage d’humeur solitaire, fuyant la ville, Armand Charnay était exigeant en amitié.  Firmin-Girard avait su gagner sa confiance et son estime. Ils partageaient un goût commun pour les paysages âpres et la saison automnale, avec ses brouillards, ses pluies et sa froidure. Ils se retrouvent régulièrement à Charlieu, où ils peignent les alentours et parcourent ensemble d’autres régions à la recherche de sujets communs.

Parmi leurs nombreuses tournées, ils sont ensemble à La Chaise-Dieu, où chacun peint une toile montrant la vue de la ville identifiable par les deux tours de l’abbaye du XIème siècle. Mais, plus que le monument, c’est le site et la vie qui s’y déroule qui semblent les avoir charmés.  



Armand Charnay, La Chaise-Dieu



Au Puy en Velay comme à Aurillac où ils ont fait étape, Armand Charnay et Firmin-Girard peignent chacun une toile retraçant leur intérêt commun pour le caractère pittoresque de la ville, ses petits métiers, ses façades rustiques et ses costumes traditionnels. A Cervières, ils peignent une même scène, une villageoise tirant l’eau d’un puits à toit situé à l’entrée de son habitation. La jeune femme est habillée en costume traditionnel : une robe rouge, un tablier bleu resserré à la taille, et un fichu d’indienne qui couvre ses épaules. Elle est coiffée d’un chapeau de paille et porte à ses pieds des sabots de bois. En haut des marches, une poule, que l’on retrouve sur les deux toiles, guette l’entrée de la maison. A Montluçon, ils peignent le marché, ses échoppes et ses marchands. Plus tard on les retrouve en Bretagne à la sortie d’une église, un jour de pluie.



Armand Charnay, Sortie de la messe sous la pluie



Firmin-Girard, Sortie de messe en Bretagne



Ils partagent aussi le goût des vieilles pierres, porteuses de passé et d’histoire. Les deux artistes traversent la Touraine pour peindre le château de Sansac, à proximité de Loches. Armand Charnay peint d'ailleurs Le Parc de Sansac, oeuvre empreinte de mélancolie, qui sera acquise par la National Gallery en 1908. Elle y est aujourd'hui toujours conservée. Une jeune femme vêtue de noir et portant un bouquet de fleurs à la main se promène en bord de rivière sous un ciel d’hiver...

Firmin-Girard fait, quant à lui, plusieurs tableaux du château et de son parc.



Armand Charnay, Le Parc de Sansac



Le château de Gatellier, à proximité de Charlieu, est un de leurs lieux favoris. Chacun s’y rend à des moments différents, mais particulièrement en automne ou en hiver lorsqu’il est sous la neige. Armand Charnay s’exprimait ainsi : « C’est à Gatellier, dans cette vieille demeure religieusement conservée par une de ces familles où se transmet le culte du passé, que chaque automne je retournais planter mon chevalet sous les vieux arbres […]. C’est Gatellier qui m’a un peu fait ce que je suis, c’est là que j’ai parfois tenté de rendre en mes études l’âme des vieux logis tout remplis de souvenirs, où chaque génération a laissé, en ces murailles qui commencent à s’effriter, un peu de sa vie aux époques disparues ». Il peint entre autres La cour de Gatellier sous la neige, qui montre l’entrée et la cour du château enneigées, avec la présence de femmes en noir.



Armand Charnay, La cour de Gatellier sous la neige



Firmin-Girard s’intéresse aussi à la demeure ancienne. Dans une composition automnale, il montre le chemin bordant le château et son entrée avec sa grille de fer forgé encadrée de deux grands tilleuls et de deux bancs en pierre.



Firmin-Girard, L’entrée de Gatellier



Amoureux de la nature et des vieilles pierres


Armand Charnay, Un soir d'automne sur la terrasse



Vers 1880, Armand Charnay s’installe à Marlotte, dans la maison qu’il s’est fait construire à l’entrée du village et à l’orée de la forêt. Elle s’ouvre sur un grand parc arboré, et est vite gagnée par des glycines, du chèvrefeuille et du jasmin. Charnay laisse se développer cette nature sauvage qu’il aime tant ; pas un arbre, pas un taillis, pas une plante grimpante ne furent jamais coupés. Il y demeurera une trentaine d’années, entrecoupées de séjours à Charlieu mais aussi en Normandie, à Yport, où il peint plusieurs scènes de bord de mer.


Armand Charnay, Le verger du château le matin



Au cours des dernières années, sa vue ne cesse de baisser, jusqu’à le rendre presque aveugle. Il ne peint plus, mais reste un fervent amoureux et défenseur de la nature. Il continue à en apprécier l’aspect sauvage, qu’il s’attache à sauvegarder, y compris dans son parc. Mais il a aussi conscience que le combat qu’il mène pour la sauvegarde de la nature et du bâti ancien se heurte à des intérêts d’un autre ordre, qui pourraient les faire disparaître. Dans une ultime lettre à son ami Firmin-Girard et que celui-ci a conservée, il évoque la transformation d’une maison : « Je l’avais pourtant connue si exquisément empreinte de poésie provinciale… cette vieille maison grise aux volets percés d’un cœur avec son enceinte d’anciens murs tout fleuris de giroflées et de pariétaires, avec ses frondaisons verdies par l’eau du petit canal plein de roues à palettes des moulins primitifs… et les grands beaux arbres du parc trempant dans la rivière… tout cela embaumant le vieux Nemours si bien décrit par Balzac ». Cette lettre semble être la description parfaite de ce qu’il a traduit dans sa peinture. Mais qu’en sera-t-il demain, questionne Armand Charnay ?



Armand Charnay, Promenade dans un jardin en automne



La nature et les paysages ont été les sujets de prédilection d’Armand Charnay. Ses paysages, souvent peuplés d’animaux, vaches s’abreuvant, canards s’ébattant dans une mare, chèvres et moutons gardés par des bergères au parapluie rouge et dans lesquels des personnages vaquent à leurs occupations, sont la marque du peintre. Paysagiste, il fut aussi un grand peintre animalier. Les animaux, chiens, chevaux, oiseaux, moutons ont été peints avec la précision d’un miniaturiste, et la justesse d’un zoologiste.


Armand Charnay, Cour de ferme



C’est tout cela que l’on retrouve dans ses tableaux, empreints d’un sentiment de douceur et de nostalgie où transparaît son amour de la nature et du patrimoine rural, et d’une tendresse pour ceux qui y vivent. Son œuvre apparaît incontestablement comme le fruit d’un artiste d’une grande sensibilité, qui a su s’exprimer dans un graphisme aux touches délicates. Elle mérite d’être redécouverte et appréciée par sa grande qualité picturale, ainsi que par le charme qui s’en dégage, auquel il est difficile de rester insensible.



Armand Charnay, La gardienne de cochons



Armand Charnay, Le chevreau



Patrick FAUCHEUR

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